Célébrer le Principe Divin Féminin
Par Janet Chawla, traduction Lune
Le 16 septembre 2002.
Au temple de Kamakhya, situé à 5 km de Gauhati, la capitale d’Assam, une célébration de la menstruation annuelle de la déesse est tenue durant la mousson, lorsque la rivière Brahmaputra est en crue. La fête est appelée Ambubachi Mela. Kamakhya, également appelé Kamarupa – l’état ou la forme de l’amour et du désir – est le Shakti peeth éminent d’Inde où la déesse est adorée à la fois pour son rôle maternelle et érotique. Il n’y a pas d’idole de déité dans le Garbhagriha du temple. Elle est vénérée sous la forme d’une pierre ressemblant à un yoni d’où une source naturelle s’écoule.
Ce qui est vénéré à Kamakhya durant la mela (fête, foire) n’est pas l’image de la déesse, mais plutôt un processus – et un processus féminin qui est – la menstruation. On croit que durant les pluies de la mousson, la puissance créatrice et nourrissante de la Terre Mère devient accessible aux dévôts sur ce site au cours d’Ambubachi.
Conformément à l’isolement menstruel des femmes, le Kamakhya mandir est fermé aux fidèles durant la mela. Et les dévôts, homme et femme, observe des restrictions similaires – pas de cuisine, pas de réalisation de puja ou lecture de livres saints, et ainsi de suite. Lorsque le temple est rouvert, le prasad (ndlt : part de la nourriture offerte à la déesse) est distribué sous deux formes. Angadhak – littéralement la part fluide du corps – l’eau de la source. Et angabastra – littéralement le vêtement recouvrant le corps – un morceau de tissu rouge est utilisé pour couvrir la pierre yoni au cours des jours de menstruations.
Pendant l’Ambubachi Mela, les rituels réalisés se mélangent à deux phénomènes naturels que nous percevons habituellement comme distinctement différents. Le cycle saisonnier des pluies de mousson fusionne avec la physiologie féminine, l’écoulement menstruel des femmes chaque mois. Les processus du corps de la terre et du corps de la femme sont représentés comme profondément sacrés.
Les dévots de Shakti honorent le principe divin féminin, l’immanent pouvoir de l’absolu, sous des formes telles que Durga, Kali, Lakshmi, Tripurasundari, Bhairavi, et autres variantes locales. D’après estimation, 51 Shakti Peeths (ndlt : lieux de culte) sont disséminés géographiquement sur le sous-continent indien, sur sa longueur et sa largeur. La mythologie relie ces sites sacrés dans le récit du Shiva endeuillé, qui s’envola dans les cieux, désespéré parla mort de sa bien-aimée Sati, et laissa tomber les parties du corps sur la terre.
Kamakhya est considéré comme le Peeth (ndlt : lieu de culte, temple) où le Yoni attérit. Cependant, certains chercheurs voient ce récit comme une forme de géo-mysticisme effectuée par les auteurs Brahman des textes Puraniques, qui ont compilé sites et légendes en une mythologie Hindoue dominante.
De façon intéressante, l’impulsion de l’action dans ce récit implique les transgressions de Sati des conventions à la fois patriarcales et sacrificielles. Sati ou Parvati, est retournée à sa maison natale à l’occasion d’un yagna (prière rituel) effectué par son père Dakshin, même si Shiva et elle n’ont pas été invités. Lorsque son père qui n’accepte toujours pas Shiva – humilie publiquement son bien-aimé au cours du rituel, Sati s’immole dans le feu sacrificiel, le désacralisant. La Devi, sous la forme que nous connaissons comme Sati, défie son père dans son choix d’époux et corrompt le sacrifice Védique, littéralement, en le spoliant (en le polluant) avec son corps.
Les 200 000 à 300 000 pèlerins, dans leur périple de la dernière semaine de juin pour se rendre à Kamakhya, pour célébrer cette fête, sont autant des sadhus (ascètes, saints hommes de l’Inde) que des propriétaires, convergeant pour honorer la déesse. Les Sanyasins, Aghoras vêtus noir, les Khade-babas, les Bâuls ou les ménestrels chanteurs de l’Ouest du Bengale, les intellectuels et le peuple Trantrikas, les Sadhus et Sadvis avec leurs longs cheveux emmêlés sont installés dans l’enceinte du temple pendant le mela. Les sans vêtements, les veuves pauvres et autres, particulièrement les femmes, voyagent depuis le Bengale ou d’Orissa ou de Bihar sur des bogeys spéciaux (ndlt : engins non identifiés, se rapprochant de ce qu’on pourrait appeler une remorque ???) attachés à nombre de trains qui se dirigent vers Gauhati.
Depuis quelques années désormais, les chercheurs féministes et activistes ont exprimés des inquiétudes quant au rôle des religions dominantes en renforçant l’oppression sur les femmes. Fréquemment, elles désignent des textes et principes religieux qui semblent émettre une idéologie patriarcale plutôt que des conseils spirituels pour les femmes. Bien que les femmes soient souvent les plus sincères des dévotes, leur capacité d’assumer les rôles officiels de prêtres (ou imams, pundits, lamas) n’a pas été utilisée.
L’exclusion de ces rôles est liée au pouvoir corporel féminin, à la fois sexuel et procréateur. Et le sang féminin est la marque de ce pouvoir. Dans les traditions religieuses dominantes, ce sang – menstruel et post partum – est décrit comme hautement polluant, salissant et doit à tout prix être séparé des choses sacrés : les livres saints, les prières, les temples, les mosquées, les églises.
Traditionnellement, ainsi, les femmes sont désacralisées à la hauteur de leur pouvoir physique. Il n’est pas étonnant que les chercheurs et activistes féministes ont considéré les textes tels que le Livre Lévitique de l’Ancien Testament et le Dharamshatras de l’Hindouisme, comme édictant davantage des tabous sur les menstrues qui a plus à voir avec le contrôle des femmes qu’avec leur libération spirituelle. Sous un angle plus globale, il est profondément ironique que l’Inde et l’Hindouisme soient perçus comme unique dans la prépondérance du culte de la Déesse – le divin féminin – alors que le statut des femmes est généralement considéré comme vil.
Ainsi, dans ce contexte, que devons-nous faire de l’Ambubachi Mela, où la Déesse elle-même se rend pour saigner, et le prasad (ndlt : don, offrande, cadeau béni ou divin) est donné sous la forme d’un tissu rouge symbolique ?
Pupul Jayakar, dans son livre sur les traditions populaires : « The Earth Mother », montre les connexions entre le corps féminin et son pouvoir de procréation (la capacité d’apporter la vie nouvelle dans le monde) et les rites ‘magiques’ ou sacrés et les croyances des peuples agraires et tribaux. Selon elle, dans certaines sociétés rurales et rites Tantriques, le diagramme ou yantra était identifié à l’organe reproducteur féminin comme étant la déesse Bhaga ou Kamakhya, l’oeil de l’amour et de la création, la porte de l’utérus. Les dessins de mandalas ou yantras au sein des grandes traditions, les peintures murales et des sols par les femmes au sein des traditions populaires, tous révèlent une structure magique. Tout d’abord, un espace est créé et ensuite le rite magique avec sa forme et son intention est réalisé dans cet espace. Celui-ci était prévu en fonction de la manifestation et la réalisation de l’intention désirée.
Le culte d’Ambubachi des phénomènes simultanées des pluies de moisson et du saignement menstruel peut apporter une importante contribution à la représentation mondiale du corps féminin. Kamahkya semble remettre en question à la fois les héritages religieux dominants : la pollution inhérente aux processus du corps féminin et la représentation gynécologique et obstétrique de la menstruation et de l’enfantement comme des périodes de dysfonctionnement et pathologies.
Beaucoup de femmes tout autour du monde voient leurs corps non pas comme une part de la nature ou même comme leur « culture » singulière, mais plutôt en des termes biomédicaux représentés comme « scientifiques » et véritable. Et ainsi demeurent les mystères inhérents au plaisir sexuel, à la magie de la nouvelle vie grandissant à l’intérieur d’une femme, au fait de donner naissance et nourrir au sein. Peut-être que l’Ambubachi Mela procure un espace sacré aux images qui donnent du pouvoir au corps féminin – un espace où les aspects maternels et érotiques des vies des femmes sont codés et célébrés comme divins.