Dewi Sri

On m’a rapporté une adorable statuette de Bali. Il s’agit de Dewi Sri, la déesse indonésienne de la fertilité, de la lune et du riz. Dewi Sri ou Dewi Shri est une déesse nourricière qui règne sur le monde souterrain, le royaume de la mort.

La Sombre Déesse

Une vieille traduction. Parmi mes premières. A reprendre et à corriger.

La Sombre Déesse
Par Gaïa © (du site Bouddica), Traduction/adaptation Lune

Les qualités essentielles de la lune noire sont le changement et la transformation. Aujourd’hui, nous sommes nombreux à redouter les enseignements de cette sombre lune (et sombre Déesse) que sont l’Alchimie, l’astrologie et autres disciplines spirituelles ou liées à la psychologie. Ceux-ci nous révèlent énormément sur notre inconscient et sur les dimensions subtiles de l’être.

La Bible nous dit que cela est mal et contraire à la volonté de Dieu. Les enseignants nous expliquent que les chercheurs scientifiques et praticiens ne peuvent les valider et les classifient comme étant du « charlatanisme ». Cependant, ces enseignements, basés sur le rythme du modèle cyclique, nous apportent une conduite, un savoir et nous permettent de passer par les dimensions sombres et non-physiques de l’être (de la mort à la renaissance, de la fin au renouveau ou à la guérison spontanée) avec clarté et confiance plutôt qu’avec panique ou peur. Les traditions philosophiques nous ont répété maintes fois que les petites réponses définitives aux questions existentielles sont véritablement trouvées, non pas dans le monde extérieur, mais profondément en soi, dans les replis obscurs de notre esprit (Demetra George in Mysteries of the Dark Moon, p 51-22).

Au sein de la psychologie de l’humanité, il s’est produit une polarisation entre les Dieux mâles qui vinrent « d’au-dessus », les porteurs de lumière (les dieux lumineux et solaires des envahisseurs nomades –Aryens, Kurgans, Sémites et Doriens- issus des steppes du Nord de l’Europe, où le « grand ciel » régnait sur le froid et les terres interdites) et les divinités féminines qui continuèrent à être « l’obscurité » (fertile) de la Terre et de ses grottes. La lumière était associée au bien et l’obscurité au mal.

Alors que la Déesse s’éloignait de l’image de la mère compatissante, source et dispensatrice de toute vie… pour devenir un symbole associé aux forces des ténèbres et du mal… les femmes, c’est-à-dire Sa manifestation terrestre, furent assimilées de la même manière. Elles devinrent impures, mauvaises et coupables du pêché originel. Elles devaient être punies. Les femmes qui avaient des relations sexuelles hors mariage (monogame et patriarcal) étaient une menace pour la filiation (par le sang) patriarcale. Elles étaient alors bannies de la société ou tuées. Leurs enfants illégitimes étaient privés de tout droits légaux et sociaux (George, 38).

La « mort » de la Déesse et l’apparition des Dieux peuvent être compris en terme de changements. Ces changements étaient en train de se produire dans le cerveau humain durant cette période de transition. Julian Jaynes, Professeur à l’université de Princeton, suggère, dans son étude controversée sur la conscience humaine, que les gens des temps anciens ne pensaient pas de la même façon que nous aujourd’hui. Ces personnes étaient « bicamérales ». Elles étaient dirigées par des voix émanant du côté droit de leur cerveau alors que le côté gauche les appréhendait. Ces voix étaient considéraient comme divines. Les anciens y obéissaient sans plus de questions jusqu’à ce qu’une série de désastres naturels survienne et que la complexité grandissante de leur société les force à devenir (ce que nous aimons appeler) conscients (autour de 1500 avant JC).

La cosmologie qui s’était développée durant le règne de la Déesse, éveillée par les sortes de processus de pensée, trouvait son origine primaire en dehors du cerveau droit. Le cerveau droit est féminin en polarité, circulaire en mouvement, de nature intuitive, auditive en perception. Le cerveau droit est lié au relationnel et à « l’unifiant ». Il se focalise sur une vision holistique des choses similaires et inter-reliées… Il perçoit le temps comme cyclique. L’humanité honorait alors une déité féminine et lunaire qui tournait et se renouvelait sans cesse. Elle a éclairé le mystère où la fin et le commencement sont un même point. Les gens percevaient la mort et le sexe comme un moyen de renaissance. Ils n’étaient effrayés ni par l’obscurité de la mort, ni par l’extase dans la sexualité, ni, non plus, par les Déesses et leurs prêtresses qui facilitaient leurs transition entre les vies.

Jaynes ne discute pas la substitution des Dieux Mâles aux Déesses. Il se documente néanmoins sur les catastrophes et cataclysmes qui commencèrent à se produire au milieu du second millénaire avant JC. En plus des éruptions volcaniques, raz de marrée, inondations massives, il voit l’étendue des guerres et la dislocation, identifiée précédemment, comme le fait des invasions patriarcales. Jaynes suggère que l’esprit rationnel, logique et analytique est une des fonctions du cerveau gauche, qui était développée pour assister l’humanité à travers la complexité croissante du monde en mouvement. Il en conclut que les fonctions du cerveau gauche devenaient plus actives en ce temps et influençaient la perception des individus sur la réalité.

Le cerveau gauche est masculin en polarité, linéaire en mouvement, par nature logique, et visuel en perception. Ce sont des valeurs prédominantes en ces temps modernes d’intellectualisme analytique, technologique et scientifique. Tandis que le cerveau droit se focalise sur la ressemblance des choses, le cerveau gauche accentue leurs différences ! Cela développe nos capacités d’analyse et de discernement, ainsi que dans le processus de perception qui permet d’établir une distinction entre le sujet et l’objet. Cette vision dualiste démontre une séparation entre le soi et les autres, entre nous et eux, et cette perception inévitable nous dirige vers une guerre des opposés qui produit un oppresseur et sa victime… Après 1500 av. JC, lorsque les êtres humains eurent commencé à fonctionner avec leur cerveau gauche, associé donc au principe masculin, ils firent la distinction entre eux-mêmes et le reste de la création. Dès lors, ils furent effrayés par la menace d’être écrasés par les forces extérieures (puisque séparées d’eux-mêmes). Ils furent excités par le désir de conquérir le principe féminin, incarné par la Déesse, les femmes et la Nature, plutôt que de vivre en harmonie avec celui-ci (George, pp 40-44).

« Tandis que la religion de la Déesse incluait toujours un concept de monde souterrain, où la notion de punition ne tenait aucune place, et où il était simplement question d’une brèche entre les vies : le sombre utérus de la Déesse, où chacun serait purifié, soigné et préparé à la renaissance. Les religions monothéistes et patriarcales fonctionnaient en dehors du principe du ‘cerveau gauche’, ce qui engendra la création d’un paradis et d’un enfer y associant la notion de bien et de mal, la récompense et la punition. Et cet enfer du Dieu-Père irascible était rempli de tortures sadiques éternelles et d’atroces souffrances. L’humanité commença alors à avoir peur de l’obscurité de la mort. Ceux qui, durant leur vie, n’étaient pas sauvés par une conversion religieuse à ce Dieu, faisaient face à une mort synonyme d’éternelles tortures et de finalité absolue. Leur terreur s’étendit à la Sombre Déesse de la Sombre Lune, qui restait désormais celle qui apporte la mort et non plus le renouvèlement. Lorsque la Déesse fut séparée de son rôle cyclique de renouveau, ses 3 sombres aspects devinrent l’image terrifiante de démons féminins qui séduisaient, dévoraient et mettaient fin aux vies humaines. On a alors haï le sombre aspect de la Déesse, on L’a persécutée, effacée et rejetée par delà l’aube de l’Histoire, dans les profondeurs de l’inconscient…

Aujourd’hui, la Sombre Déesse, telle la triple Déesse ancienne, représente les différents aspects rejetés de la trinité de l’intégrité féminine. Les enseignements de la Déesse de la Lune Noire sont liés à la divination, à la magie, à la guérison, à la sexualité sacrée, à la dimension non-physique de l’être, aux mystères de la naissance, de la mort et de la renaissance. Désormais appelées pseudo-sciences, celles-ci n’ont pas été validées en tant qu’espaces de recherches légitimes par les institutions religieuses et éducatives modernes.

L’ombre, selon la psychologie « Jungienne », est le noir, la part rejetée de notre psyché. Influencés par les valeurs de notre culture, nous ne percevons pas ces qualités. Il n’est pas souhaitable ou acceptable d’exprimer cet aspect de notre personnalité. L’ombre recèle ce que nous n’aimons pas de nous-mêmes et que nous trouvons menaçant, honteux et inadéquat. Nous ne les appréhendons pas comme des valeurs estimables et positives. Nous nous empressons alors de les étouffer et de les nier.

La nature inhérente de la Sombre Déesse des origines, celle qui apporte à la fois la mort et la renaissance, a été réprimée et reniée durant des milliers d’années. Dès lors, cette pernicieuse image a déformé et corrompu notre perception de l’aspect intrinsèque de la nature féminine. La sombre Déesse fut conceptualisée maléfique et ses enseignements sur l’obscurité, le sexe et la mort furent déformés. Notre littérature concernant les mythes abonde d’images de cette ténébreuse Déesse, la représentant comme un démon féminin. Elle effrayait telles les Parques, qui, à notre naissance, déterminaient le moment de notre mort… Telle Némésis la Déesse du jugement et de la mort rapide ; telles les Furies, qui pourchassaient un homme jusqu’à la folie et la mort ; Médée, qui tuait ses enfants ; Circée, qui transformait les hommes en porcs ; Médusa qui les changeait en pierre ; la Lamie qui suçait leur sang ; Lilith qui les séduisait dans le but de procréer des démons et Hécate, Reine des Sorcières, qui enlevait les hommes dans le monde souterrain (ibid, 43-44). Dans la culture populaire, il n’y a pas de meilleure représentation de la Déesse Sombre que l’Alien-mère combattant Sigourney Weaver. Notre peur, notre rage et notre dégoût de la Noire Déesse peut être perçue à travers nos réactions sévères face aux femmes qui ne se conduisent pas en mères aimantes et attentionnées. En somme, lorsqu’elles n’agissent pas comme on voudrait qu’elles le fassent.

Demandez à quelqu’un de donner une description du type de personnalité qu’il trouve la plupart du temps agressive, irritante et avec laquelle il est impossible de bien s’entendre. Il décrira à coup sûr sa propre part d’ombre réprimée !

La psychologie Jungienne nous dit qu’afin de guérir les blessures et atténuer les souffrances causées par le rejet des aspects de notre moi complet, entier, nous devons tout d’abord entrer dans notre inconscient et développer une relation avec notre « ombre ». Nécessité pour reconnaître toutes ces parts haies et occultées par nous-mêmes. Car celles-ci ont un besoin légitime d’exister et d’être exprimées. Si nous pouvons affirmer tous les aspects de notre nature humaine, reconnaissant à la fois les qualités attrayantes et celles qui le sont un peu moins, dès lors nous aurons l’option pour transformer les énergies les plus « problématiques » en activité constructive et bénéfique dans nos vies et relations…

Nous avons besoin d’aller dans nos ténèbres et de faire la paix avec toutes les parts perdues de nous-mêmes, afin de retrouver la guérison et le renouveau qui résident dans l’obscurité.

Le voyage du héros ou de l’héroïne dans le monde souterrain qui récupère les trésors volés par le monstre n’est pas une quête facile. C’est une quête pleine de dangers… De la même façon que nous nous dirigeons vers l’acceptation de l’intégralité de notre être, nous aurons inévitablement à dompter notre peur du noir…

Et alors nous devons invoquer et louer notre Sombre Déesse, qui fut reléguée dans les replis de notre psyché. Sa fonction ultime est de faciliter la transformation qui survient dans l’obscurité. Elle provoque la mort de notre ego, de nos anciennes formes et de nos suppositions erronées afin que nous puissions donner naissance au renouveau… Nos expériences personnelles de guérison, dès lors, deviennent le terrain d’apprentissage pour la compassion. C’est ce qui permet l’accès à nos capacités insoupçonnées (tel le guérisseur blessé). Le mystère de la Lune Noire réside dans la mort et la naissance qui sont les deux visages jumeaux de son orgasme cosmique avec le Dieu Soleil, chaque mois à la nouvelle (conjonction de la) lune. Cet orgasme accompli dans l’amour, Elle poursuit sa révolution, tournant toujours autour de la Terre. Elle envoie une pluie de bénédictions tout en sachant qu’il n’y a point de néant. (ibid. 55-58).

Une Danse Extatique avec Shiva Nataraj

J’aurais également pu choisir pour titre, ce jeu de mot : « Transe en danse »… J’ai pris beaucoup de plaisir à traduire ce texte en dépit du fait qu’il soit assez mal écrit. Il s’agit d’une très belle expérience avec un dieu que j’affectionne tout particulièrement.

Une Danse extatique avec Shiva Nataraj

Une journée dans la vie d’une Dévadasi

par Nikki Lastreto, traduction Lune

Vous l’avez vu un million de fois, ce dieu dansant dans le cercle de feu, l’image du dieu hindou Shiva Nataraj. Son doux visage irradie la compassion tandis que ses mouvements extasiés manifestent l’énergie rythmique primale, ou Shakti, et reflètent sa divinité intérieure.

Le Cosmos est sa salle de danse et nous sommes tous ses partenaires de danse.

« Ses gestes sauvages et plein de grâce, précipitent l’illusion cosmique ; ses bras, ses pieds s’envolent, son torse ondule, et produisent, en effet, la création / destruction continue de l’univers, la mort contrebalançant précisément la naissance, l’annihilation, la fin de tout ce qui vient au monde. »

C’est ce qu’a dit Heinrich Zimmer, spécialiste de l’hindouisme, à propos du Seigneur de la Danse.

Des tonnes de livres ont été écrits sur Nataraj , un gigantesque temple dans le Sud de l’Inde, appelé Chidambaram, est dédié à ses danses et à lui-même, et les philosophes se sont battus pour saisir les nombreux niveaux des significations énoncées par ce dieu extraordinaire. Dans ma recherche de connexion avec Shiva Nataraj, pour mieux expliquer ces racines de la danse-transe de l’Inde Antique, j’ai ressenti la nécessité d’aller plus loin que la lecture de bouquins, j’ai ressenti la nécessité d’invoquer Shiva.

Ainsi, la nuit dernière, tandis que je me préparais à partir pour une fête donnée à San Francisco, dans la Dimension Seven Warehouse, je me suis concentrée sur mon intention pour la soirée. Je voulais fusionner avec Nataraj, devenir une devadasi, ou danseuse du temple sacré. Je savais que j’étais sur la voie lorsque je suis arrivée à la fête, j’ai été immédiatement saluée par une grande statue de bronze de Shiva Nataraj, dominant l’autel face au DJ. Un batik, aux couleurs lumineuses, le représentant était tendu sur le mur principal de la salle de danse. Shiva a en effet été invoqué, la magie tissée, et le moment était venu pour moi de vivre l’expérience de ma danse dévotieuse.

Remplie d’amour pur pour le Seigneur, et tout ce qu’il représente, je me suis laissée dériver à travers les âges, j’étais une jeune devadasi exécutant une danse-transe tantrique, quelque part dans le sud de l’Inde. Le rythme techno se transformait dans ma tête en une mélodie perçante de shenai, le tintement rythmique des cloches du temple résonnait dans un ancien temple de pierre, et le bourdonnement hypnotique des chants dévotieux se répétaient encore et encore.

L’extase permit à la transe de Nataraja de me rattraper, je sentis mon corps tournoyer de manière si inhabituelle que cet état me semblait aussi ancien que Shiva lui-même. Quels étaient ces mouvements étranges, ces pas de danse provocatrice venue d’un autre millénaire ? J’étais capable de quitter mon corps et de m’observer depuis cette nouvelle/ancienne incarnation. Je me rendis compte que chaque mouvement exécuté par la devadasi avait une conséquence, portait un message de dévotion. La danse-transe m’entraînait vers le sens profond de ces mouvements et je me retrouvais instinctivement en train d’exprimer un large éventail d’émotions qui décrivaient les nombreuses manifestations de Shiva Nataraj. C’était sa douce danse du soir pour les tensions célestes d’un chorus divin dans l’Himalaya… Sa danse erratique et intrépide de Destruction et sa danse rapide du Temps aux terres calcinées… Ses danses sur les champs de batailles… avant son mariage… dans un état de folie. En d’autres mots, Shiva danse à chaque moment de la vie, qui sont tous primordiaux de manière égale.

Mes doigts semblaient avoir leur propre vie. Des mudras spontanés (gestuelles symboliques) ont surgi de lointains souvenirs de vies passées, narrant des histoires à la fois familières et étrangères. J’ai visualisé l’appel d’une assemblée Hindoue dans le temple, « en lisant » les histoires que je contais à travers mes mouvements, envoûtée par la danse de la dévadasi. Ils nous ont regardé, mes consœurs danseuses et moi, sans convoitise mais avec dévotion. Nous étions les tentatrices à ce moment, pour les séduire, amener à eux la déesse sous une forme pure.

Perdue dans cette antique transe, j’ai senti mon amour pour Shiva devenir plus profond au fil de la nuit, me consumer. J’ai vu son essence en chacun et tout autour de moi. Les paroles de Swami Nisargadatta Maharaj me revenaient en tête par flash.

« Lorsque je vois que je ne suis rien, c’est de la sagesse ; lorsque je vois que je suis tout, c’est de l’amour. »

Ainsi cela doit expliquer les nuits de sexualité sauvage, que j’ai découvertes dans mes lectures, dans ces temples hindous, lorsque les swamis « célibataires » s’unissent aux servantes « vierges » du dieu, tous dansant leur dévotion ensemble. Il me paraît évident qu’ils étaient également tous en transe, transe induite par la musique rythmique et leurs propres états de béatitude. Je me suis interrogée sur le type de breuvages locaux absorbés par les dévots et les dévadasis, car cela ne fait aucun doute, ils en faisaient usage. (Après tout, Shiva est le dieu du sexe, des drogues et du rock n’ roll). Je me suis également demandée, avec mon cerveau de journaliste / observatrice de tous les jours, si cette danse était encore exécutée de nos jours dans d’obscurs temples Indiens. Depuis que les Nababs dogmatiques, suivis par les Britanniques puritains, ont introduit leur règles pudibondes dans le sous-continent, on peut supposer que ces danses de dévotion paillardes soient devenues illégales. Mais, tout comme ils ont essayé d’interdire la dot, les mariages d’enfants et la sati (lorsqu’une épouse s’immole sur le bûcher funéraire de son mari afin de témoigner de sa fidélité), je sais que tout ces actes continuent d’exister en Inde, certains plus ouvertement que d’autres.

J’ai entendu des histoires à travers tout le vignoble indien au sujet de temples isolés où des hommes continuent à se réunir, à la fois prêtres et profanes, lors des jours propices à la danse de Shiva avec les devadasi locales (des jeunes femmes offertes au temple par leurs parents). J’ai vu des dévots entrer en transe au cours de danses spontanées, inspirées par le pouvoir d’un murti particulier (statue d’une déité). Une femme est devenue littéralement la féroce déesse Kali, une manifestation de Shiva, sous mes yeux. Elle a tournoyé en cercles pendant une heure, elle jetait des regards féroces de ses yeux injectés de sang.

Je me suis jointe à une danse dans un village, de minuit jusqu’à l’aube, qui invoquait la puissante déesse Durga. Pendant des heures nous avons répété des pas simples qui nous ont tous conduit à une transe, jusqu’à ce que la déesse « apparaisse » sous la forme d’un prêtre costumé. A l’aube, plusieurs chèvres ont été sacrifiées en l’honneur de la toute-puissante. Même les fiévreuses danses aux mariages hindous deviennent une transe alors que les hommes ivres (et occasionnellement les femmes) cabriolent pendant des jours au son des flonflons désaccordés de l’orchestre local.

Ils disent que si vous récitez le puissant mantra de Shiva, « Om Nama Shivaya », 108 000 fois avec intensité, alors Shiva viendra et remaniera votre vie. Je sais que c’est vrai, alors ne le prenez pas à la légère. Shiva est tout à la fois création et destruction, l’acceptation et l’appréciation de l’inévitable dharma du changement. Peut-être parce que j’ai toujours invoqué le puissant Shiva au cours de mes années de méditation sous ses nombreux aspects, que je suis si aisément capable de tomber en transe au cours d’une danse de dévadasi. J’attends qu’il vienne à moi comme un amant à une heure convenue. J’explore chaque parcelle de Shiva, alors qu’il imprègne mon être par cette danse, telle une femme méditant tendrement sur chaque aspect du caractère de son homme.

J’imagine le pied levé de Shiva qui accorde le bonheur éternel libérateur. Son autre pied, fermement enraciné sur le dos du nain de l’ignorance est le symbole du triomphe sur l’ego. Le tambour dans sa main supérieure droite joue la note de la création alors que la flamme dans sa main gauche vacille sous le changement apporté par la destruction. Son autre main droite, paume ouverte, dans la position de l’abaya mudra, me rappelle que Se Libérer de la Peur Apporte l’Epanouissement.

Le cercle enveloppant des flammes entourant Shiva Nataraj représente la danse naturelle de la vie. Le croissant de lune dans ses cheveux emmêlés est un symbole de son contrôle complet sur les sens comme les blessures des serpents autour de ses bras sont la preuve de son contrôle sur ses forces de vie essentielles. Son troisième œil est son antenne du suprême.

Tandis que la nuit se transforme doucement en aube, je suis consciente que toute vie est une part d’un grand processus rythmique de la création et de la destruction, de la mort et de la renaissance, et Shiva est la force agissante. A travers la danse, ma shakti (énergie) a muté, a été éprouvée, détruite et finalement revitalisée par la lumière du matin.

Et donc, j’émerge dans un jour nouveau, en remerciant Shiva pour notre besoin spirituel fondamental de nous relier à celui qui a créé, pour ce faire, une nouvelle techno-transéologie. Ma nuit avec Shiva Nataraj, en tant que dévadasi, m’a montré une signification plus profonde de la danse-transe. J’ai appris à ouvrir mon cœur et à laisser circuler Shiva dans tout mon corps, alors que la shakti me guide à travers la nuit.

OM NAMA SHIVAYA

NOTES:

Sur Nataraj :

Extrait de « The Presence of Shiva » par Stella Kramrisch, 1981, pg. 439…

« Le Ananda Tandava, la danse de félicité de Shiva dans le hall de la conscience, est la danse de Shiva dans le cœur de l’homme. Ici Nataraja, le seigneur des danseurs, en dansant, témoigne de sa quintuple tâche, l’expression de sa totalité divine. Ses membres dansants communiquent par ses mouvements et ses symboles ; la quintuple action de création, de maintien, de dissolution, de voiler et dévoiler, et de délivrance. Nataraja danse le cosmos en création, soutient sa création, et la danse en dehors de la création. Le Seigneur voile la création avec l’illusion afin qu’elle ne soit pas perçue comme la réalité, et en dansant, il retire le voile. »

Sur Kali :

Dans le temple de la ville de Chidambaram où Shiva Nataraj vit, l’histoire dit que Shiva Nataraj se disputaient le plus grand temple de la ville. Shiva et Kali sont tout deux célèbres pour leur fantastique et sophistiqué jeu de jambes, c’est pourquoi un concours de danse fut organisé. Le but était de voir qui pourrait lever ses jambes le plus haut.

Tandis que ces deux puissants dieux caracolaient, le gagnant devint évident. Comme Shiva portait une simple peau de tigre autour de sa taille, il était capable de lever son pied au-dessus de l’univers, libre de ses mouvements. Kali cependant, malgré le fait qu’elle soit une féroce déesse, était incapable d’être à la mesure du Seigneur Shiva Nataraj car son sari enveloppait son corps et ne lui permettait pas de lever son pied aussi haut.

Une fois encore, nous voyons l’Inde telle qu’elle est, une société patriarcale. Ainsi, Kali obtint un petit temple dans les faubourgs de la ville, là même où j’ai vu cette femme devenir Kali par la transe. Shiva Nataraj gagna le gigantesque temple qui abrite aujourd’hui sa magnificence.

Sur le Troisième Œil :

Extrait de Karapatri, « Sri Siva tattva, » Siddhanta, II, 1941-42, pg. 116…

« L’œil frontal, l’œil du feu, est l’œil de la plus haute perception. Il regarde principalement à l’intérieur. Lorsqu’il est tourné vers l’extérieur, il brûle tout ce qui apparaît devant lui. C’est par le regard de ce troisième œil que Kama, le seigneur de la luxure, a été réduit en cendres et que les dieux, ainsi que tous les êtres créés, sont détruits lors de chaque destruction cyclique de l’univers. »

Octobre 1998

Rencontre avec la Déesse

Par Joëlle de Gravelaine

Extrait de : La Déesse sauvage, les divinités féminines : mères et prostituées, magiciennes et initiatrices (éditions Dangles)

J’ai pour ma part vécu une expérience étonnante en compagnie de deux autres femmes. L’une, médecin, avait a peu près mon âge ; l’autre, romancière, était sensiblement plus jeune. Cela se passait à Denderah. Nous faisions un voyage amical sur un bateau qui descendait le Nil. A bord, se trouvait un égyptien avec lequel nous avons sympathisé toutes les trois, et qui nous servait de guide. J’avais perçu très vite qu’il connaissait plus de choses qu’il ne nous en livrait, qu’il avait accès à un savoir que j’avais bien envie de partager un peu avec lui. Un jour il nous fit un exposé – très bref – sur Isis, qui me mit en colère. Je lui dis sans ambages que sur ce chapitre il ne m’avait rien appris, que j’étais par ailleurs convaincue qu’il en savait plus que moi et que je me sentais tout à fait frustrée par son silence. Il rit alors, devant ma colère me disant : « Il n’y a pas que vous qui soyez amoureuse d’Isis ! Si vous le voulez, à Denderah, je vous montrerai quelque chose mais je ne veux que vous, avec vos deux amies ; personne d’autre. »

J’attendis avec l’impatience qu’on imagine, après avoir proposé à mes « complices » de filer avec moi le jour dit. A peine débarquées du car qui nous conduisait a Denderah, temple d’Isis-Hathor, notre guide nous entraina vers la crypte, après m’avoir montré les vestiges de l’ancien sanctuaire, avec ses pierres gigantesques, et le filet d’eau courant au fond. Il me dit très vite :  » Ne regardez pas, mais il y a une femme en bas, avec son mari et sans doute son frère. Elle va s’accroupir là, car elle est stérile et elle attend de cette eau qu’elle la féconde. « Je jetai un œil en biais et l’aperçue, en effet, en bas dans le ravin, entre les pierres mégalithiques, encadrée par deux hommes.

Puis, abandonnant le reste du groupe, nous filâmes vers la crypte non éclairée. Il fallait descendre quelques marches d’un mauvais escalier de bois et se faufiler dans un goulet étroit. Il passa devant, balayant le sol de sa torche électrique. Il me prit alors par la main et m’entraina dans ce que je percevais comme un mur. Il m’incita à fermer les yeux, pour une meilleure concentration, et à attendre. Au bout de quatre a cinq secondes, je fus prodigieusement déconcertée par la soudaine sensation éprouvée : des contractions d’accouchement, violentes, profondes, rien à voir avec une quelconque sensation érotique ; comme des mains me pétrissant les entrailles. Je poussai un cri de surprise. Il attendit un moment, me reprit par la main et me fit faire demi-tour ; je me retrouvai devant le mur qui faisait exactement face au précédent.

A nouveau il m’invita a fermer les yeux. Et là, soudain, je vis – uniquement par le regard intérieur, bien sûr, puisque nous étions plongés dans la plus totale obscurité- les cornes d’Hathor avec son disque rouge, j’entrai dans ce disque où j’etais projetée en lui, et me sentis entrainée dans ce que j’appelai aussitôt une « danse d’électrons ». Impression forte, saisissante mais pas du tout angoissante. Je cédai alors la place a mon amie médecin, l’entendis pousser à son tour un « Oh! » aussi surpris que l’avait été mon « Ah ! » et en déduisis qu’elle venait de vivre la même sensation. En face, elle décrivit son expérience comme ayant été prise dans « un bombardement d’atomes ». La troisième, à la même et première place fit « Ah ! Oh ! » encore plus impressionnée que nous.Tellement impressionnée qu’elle refusa de s’immobiliser devant l’autre mur. Nous confrontâmes nos expériences : le résultat, de toute évidence correspondait à l’attente de notre guide.

Je demandais alors des explications. De quoi s’agissait-il ? Y avait-il quelque chose dans le sol, dans l’agencement des pierres ou des murs? Y avait-il des textes ? Notre homme leva alors sa torche et en balaya les murs sur lesquels apparaissaient des hiéroglyphes. Sur le mur de droite figurait un Horus finement ciselé. En face, un autre dieu faucon, identique au premier, mais lisse comme un galet travaillé par la mer. Et des hiéroglyphes également. » A droite, nous dit-il, c’est un texte sur la naissance physique, l’accouchement… C’est pourquoi seules les femmes peuvent vivre ici cette expérience. J’y ai amène de nombreuses amies ;toutes ont ressenti ce que vous avez décrit et celles qui ont eu des enfants identifient immédiatement la sensation éprouvée. En face, là où vous voyez cet Horus lisse, il y a un texte sur la mort et la naissance spirituelle. Cette image d’atomes ou d’électrons en mouvement est également décrite, le plus souvent en ces termes. »

Il nous entraina ensuite dans les grandes salles du Temple, là où on préparait les hiérodules, les prostituées sacrées, les prêtresses d’Hathor à rencontrer le Grand Prêtre. Et là, on peut l’avouer, les sensations étaient fort différentes, bien plus érotiques…

Notre disparition, bien que de peu de durée, avait provoqué quelques inquiétudes ; on nous chercha et certains hommes voulurent descendre à leur tour dans la crypte. Ils remontèrent furieux, vaguement conscient d’avoir été tenus à l’écart de quelque chose, d’avoir été exclus d’un mystère, frustrés et agacés. Et plus encore devant nos mines de conspiratrices réjouies. L’une des femmes présentes voulut explorer la crypte. Notre guide l’en dissuada, la mettant en garde : « N’allez pas trop loin à droite ! » Elle s’empressa de désobéir… pour remonter quelques instant plus tard, un peu pâle, racontant qu’elle s’était retrouvée à l’angle de deux « boyaux », les mains projetées en arrière dans la position de salutation qu’on peut voir sur les fresques égyptiennes, et presque renversée sur le dos, sans comprendre ce qui lui arrivait…

Ainsi, des siècles et des siècles après son édification, le temple de Denderah abrite encore des secrets, possède encore des pouvoirs. J’ai la conviction aujourd’hui que l’Égypte tout entière recèle encore des Mystères et que ces Mystères sont de même nature que ceux auxquels accédaient les inities. Je me suis jurée de revenir un jour a Denderah… pour essayer de percer quelques secrets de plus. Car ce Temple vit. Chaque pierre, chaque texte, vit de sa vie propre, charges d’une énergie dont la nature est indéfinissable mais tangible, pour qui veut l’éprouver et trouver en soi l’indispensable disponibilité.

Asherah, Déesse Suprême du Levant Antique

Par Johanna H. Stuckey ©, traduction & adaptation Lune


Pendentif en or.
Ugarit-Ras Shamra.
1550-1200/1150 avant J. C.
S. Beaulieu, dans Negbi 1976, Plate 53, #1661.

Dès qu’El la vit
Il ouvrit sa bouche et rit
…il éleva la voix et cria :
« Pourquoi Dame Asherah-de-la-Mer est-elle arrivée ?
pourquoi la Mère des Dieux vient-elle ? »
(Coogan 1978:100)

Bien que les textes provenant de l’antique ville syrienne Ugarit ne nomme pas explicitement Asherah en tant que consort d’une déité mâle suprême, elle était probablement son homologue féminin, car elle était Elat, « Déesse », El, « Dieu » (Hadley 2000 :38). En effet, Asherah et El fonctionne comme « le couple suprême », et leur descendance inclue « toutes les autres déités de la première génération » (Olmo Lete 1999:47). Comme El, Asherah était d’abord une figure de l’autorité, mais seulement une autorité que l’on accorde au féminin dans le cadre d’une culture patriarcale. Parmi les déesses ugaritiques, seule Asherah portait une broche, symbole féminin et domestique (Coogan 1978:97; Hadley 2000:39).

Arrivant quasiment en tête des listes de divinités et d’offrandes, Asherah était certainement la déesse la plus importante d’Ugarit (Binger 1997:89). Comme il convient à une déesse patronne d’une ville qui fait du commerce maritime, son nom complet, athirat yam, signifie « Elle marche sur la Mer, » (Coogan 1978:116; Hadley 2000:49-51). Dans les mythes, bien qu’elle n’ait pas un rôle central, Asherah joue toujours une part décisive. Elle a « un pouvoir suffisant pour qu’El veuille suivre ses conseils au sujet de Baal, son successeur » (Hadley 2000:39; Coogan 1978:111).


Buire Décorée.
Lachish, Israel.
1550-1200/1150 avant J. C.
S. Beaulieu, dans Keel et Uelinger 1998:73, #81

A cause de l’un de ses épithètes : « Créatrice, ou Génitrice, des Dieux » (Coogan 1978:97), et de ses soixante-dix fils (Coogan 1978:104), on suppose qu’Asherah était probablement une « déesse mère ». Bien sûr, en tant que « créatrice » et « nourrice » des dieux, Asherah était « d’une façon ou d’une autre liée à la naissance et à la fertilité » (Hadley 2000:43). Cependant, étant donné son autorité et son rôle d’éminence grise, il est peu probable qu’elle fut seulement une déesse de la fertilité.

L’une des fonctions d’Asherah semble avoir été d’agir comme médiatrice entre les autres divinités et El le suprême. Bien que la venue d’Anat et de Baal, des déités agressives, la terrifie tout d’abord, Asherah s’apaise après qu’ils lui aient offert de somptueux présents, et étant d’un rang nettement supérieur au leur, elle entreprend d’approcher El en leurs noms (Coogan 1978:98, 99-101 Hadley 2000:39).


Buire Décorée.
Lachish, Israel.
1550-1200/1150 avant J. C.
S. Beaulieu, dans Keel & Uelinger 1998:73, #80.

Asherah peut également défendre ses prérogatives avec férocité. Dans un poème, Kirta, elle inflige une punition rapide et sévère à un humain, qui a brisé un serment (Coogan 1978:67; Hadley 2000:41). C’est ce poème qui mentionne sa position souveraine au sein de deux autres villes majeures de l’antique Levant, villes qu’elle semble bien avoir dirigé au cours de la période Romaine (Hadley 2000:42). Elle est « Asherah de Tyre » et « la déesse elat de Sidon » (Coogan 1978:63). Le poème utilise également le mot Qudshu, que certains traducteurs restituent comme le « sanctuaire » (Coogan 1978:63), et d’autres comme la « Sainte » qui est probablement un épithète d’Asherah (Hadley 2000:47). Le fait qu’El promette au roi Kirta qu’Asherah se joindra à Anat pour allaiter l’héritier royal, suggère qu’Asherah était également une « garante divine du trône » (Pettey 1990:16).

La déesse patronne d’Ugarit était également révérée dans d’autres parties du Levant et de nombreuses preuves suggèrent qu’Asherah aurait pu avoir un lien particulièrement étroit avec les arbres. Un tel lien ne serait pas surprenant car, généralement au sein de l’antique Méditerranée Orientale, les déesses, et ce que les spécialistes appellent « les arbres sacrés », semblent aller de pair. Des fouilles réalisées dans la ville cananéenne de Lachish (Tubb 1998:79-80) de la fin de l’âge de Bronze, ont mis à jour la Buire de Lachish, habituellement perçue comme cananéenne et datée de « la fin du 13ème siècle avant J.C. » (Hestrin 1987:212). Son décor « consiste en une rangée d’animaux et d’arbres », au-dessus de laquelle il y a une inscription : « Mattan. Une offrande à ma Dame ‘Elat’ » (Hestrin 1987:211,214). Une personne nommée Mattan a offert la buire et probablement son contenu au temple de la déesse Elat (Hadley 2000:159).

Ce qui est vraiment fascinant, c’est que le mot Elat, pour désigner la déesse, est placé directement sur un des arbres stylisés (Hadley 2000:156; 157, #8). L’artiste a terminé les dessins pour ensuite réaliser l’inscription (Hadley 2000:160), de manière à ce que le mot ne soit pas situé « par hasard » (Hestrin 1987:220). Ainsi, le mot Elat a été probablement placé là afin de désigner l’arbre comme étant la déesse, pour signifier qu’il « représentait sa présence ».

Cependant, à quelles déesses de Levant, Elat fait-elle référence ? Dans la Bible Hébraïque, elah, la forme grammaticale féminine de el, apparaît dix-sept fois, mais est toujours traduite par « chêne » ou « térébinthe », qui est un arbre sacré. De plus, « toutes les occurrences du mot peuvent être comprises comme « l’arbre » sans nuire au texte ; cependant, de la même façon, la traduction à certains endroits peut être « la déesse » (Binger 1997:135). Dans les textes ugaritiques, même si elat peut vouloir dire « déesse d’une façon plutôt générale », cela peut aussi être un des titres d’Asherah, « proche d’un nom » (Pettey 1990:13).

En conséquence, un bon nombre de spécialistes pense que le « Elat » de la Buire de Lachish nomme la Déesse cananéenne Asherah (Hadley 2000:159-160; Keel et Uehlinger 1998:72; Pettey 1990:181; Smith 1990:82; Hestrin 1987:220). Cependant, cette identification ne prouve définitivement pas que l’arbre sacré Levantin ait toujours représenté Asherah, bien qu’il soit clair qu’un arbre sacré pourrait représenter toutes ou une partie des déesses.

Un autre artefact issu des fouilles de Lachish vient appuyer la théorie. Il s’agit d’une coupe décorée de « deux bouquetins affrontés, reproduits quatre fois » (Hestrin 1987: 215). Ils ne sont pas flanqués d’arbre mais « d’un triangle inversé, parsemé de points » (Keel 1998:34; Part I, #50; Hestrin1987:215, #2; 216, #3). La plupart des spécialistes interprètent l’image invertie comme celle d’un triangle pubien (Keel et Uehlinger 1998:72; Hestrin 1991:55; Hestrin 1987:215). Ils voient donc cette célèbre représentation comme la substitution de l’arbre sacré par le symbole de la vulve… et il est donc fortement probable que l’arbre symbolise, en effet, la déesse de la fertilité… ». En réponse aux doutes des spécialistes, Othmar Keel parle « de preuve publiée récemment » issue de trois sites différents en Israël qui « peuvent confirmer » que les triangles sur la coupe de Lachish représentent des triangles pubiens (Keel 1998:34-35; Part I, #51, 52).

Ainsi, il semble qu’à l’âge de Bronze, au Levant, l’arbre était quasiment synonyme de déesse. Non seulement des pendentifs dépeignent des déesses avec des arbres poussant de leurs triangles vulvaires (voir image, en haut de la page), des sceaux et autres artefacts montrent des arbres, accompagnés d’animaux qui broutent, près de la déesse, mais l’un des plus magnifiques objets issus d’Ugarit montre une déesse tel un arbre (1). Sur le fragment du couvercle en ivoire sculptée d’une petite boîte, une déesse prend la position normalement tenue par l’arbre sacré et nourrit des animaux qui ressemblent à des boucs. Ceux-là se dressent pour prendre la végétation de ses mains (Keel 1998: Part I, #43; Patai 1990: Plate19). Malgré cet exquis témoignage, datant de la fin de l’âge de bronze, sur l’identité de la déesse et de l’arbre, Keel démontre que, à cette période, la représentation de la déesse « est en grande partie remplacée par l’arbre flanqué de caprins » (Keel 1998:35). Peu à peu, au cours de l’âge de fer, l’image de « l’arbre sacré et des animaux ressemblant aux boucs » se raréfie en Israël et en Judée (Keel et Uehlinger 1998:399-400), bien qu’elle ait continué à être un important symbole au sein de toutes les cultures de la Méditerranée Orientale antique. Le symbole de l’arbre, cependant, peut avoir survécu même en Judée, sous la forme du « chandelier à sept branches de la tradition sacerdotale » (Keel 1998:56).

A partir de ses textes mythiques et cultuels, nous avons vu qu’Asherah était la déesse patronne d’Ugarit, aussi bien que des villes de Tyre et Sidon. Sans aucun doute, Asherah a continué à être une déesse importante du Levant au cours du premier millénaire avant J.C., particulièrement à certains endroits. De plus, il est possible qu’elle ait été, pendant un temps, consort du dieu d’Israël Yahvé . Cependant, c’était le destin d’Asherah, comme celui d’Anat et Astarté, de lentement commencer à disparaître, comme entité séparée.

L’identité de la Tanit de Carthage a été le centre de discussions érudites, comme pour les trois grandes déesses cananéennes (Pettey 1990:32). Cependant, il semble désormais qu’il est communément accepté qu’Asherah ait probablement survécu en Tanit, la déité patronne de la prospère colonie Phénicienne de Carthage, en Afrique du Nord (Pettey 1990:32). Avec les Carthagéniens, le culte de Tanit/Asherah s’étendit loin de sa patrie Levantine originelle, au-delà de la Méditerranée, en Europe Occidentale. De plus, au cours de la période Gréco-romaine, une grande déesse Atargatis était adorée dans le Levant, et son nom indique qu’elle était probablement une fusion des trois grandes déesses Levantines (Pettey 1990:32-33). Le culte d’Atargatis s’étendait à travers toute la Méditerranée depuis la Syrie, et s’est bien poursuivi jusqu’au troisième siècle de notre ère (Godwin 1981:150-152, 158 #124). Ainsi, Asherah et ses déesses sœurs ont continué à vivre à travers la puissante et très aimée « Déesse Syrienne ».

Notes :
(1) L’objet semble avoir un style Mycénien tardif, mais la « disposition symétrique est purement Mésopotamienne et Syrienne… » (R.D. Barnett cité in Keel 1998:31).


Couvercle de boîte en ivoire.
Ugarit-Minet el-Beida.
1550-1200/1150 avant J.C.
S. Beaulieu, dans Patai 1990, Plate 19.

Bibliographie :

+ Binger, Tilde 1997. Asherah: Goddesses in Ugarit, Israel and the Old Testament. Sheffield, UK: Sheffield Academic. Journal for the Study of the Old Testament, Supplement Series 232.
+ Coogan, Michael D., tr. 1978. Stories from Ancient Canaan. Louisville, KY:
+ Godwin, Joscelyn 1981. Mystery Religions in the Ancient World. London: Thames and Hudson.
+ Hadley, Judith M. 2000. The Cult of Asherah in Ancient Israel and Judah: Evidence for a Hebrew Goddess. Cambridge: Cambridge University.
+ Hestrin, Ruth 1987. « The Lachish Ewer and the `Asherah, » Israel Exploration Journal 37:212-223.
+ Keel, Othmar 1998. Goddesses and Trees, New Moon and Yahweh: Ancient Near Eastern Art and the Hebrew Bible. Sheffield, UK: Sheffield Academic.
+ Keel, Othmar and Christoph Uehlinger 1998. Gods, Goddesses, and Images of God in Ancient Israel. Minneapolis, MN: Fortress.
+ Negbi, Ora 1976. Canaanite Gods in Metal: An Archaeological Study of Ancient Syro-Palestinian Figures. Tel Aviv: Tel Aviv University.
+ Olmo Lete, Gregorio del 1999. Canaanite Religion According to the Liturgical Texts of Ugarit. Bethesda, MD: CDL.
+ Patai, Raphael 1990 (1978). The Hebrew Goddess: Third Enlarged Edition. Detroit, MI: Wayne State University.
+ Pettey, Richard J. 1990. Asherah: Goddess of Israel. New York: Lang.
+ Smith, Mark S. 1990. The Early History of God: Yahweh and the Other Deities in Ancient Israel. San Francisco: Harper and Row.
+ Tubb, Jonathan N. 1998. Canaanites. Norman, OK: University of Oklahoma.

Crédits des images :

+ Pendentif en Or. Ugarit-Ras Shamra. 1550-1200/1150 BCE. S. Beaulieu, dans Negbi 1976, Plate 53, #1661.
+ Buire Décorée. Lachish, Israel. 1550-1200/1150 BCE. S. Beaulieu, dans Keel et Uelinger 1998:73, #81.
+ Buire Décorée. Lachish, Israel. 1550-1200/1150 BCE. S. Beaulieu dans Keel et Uelinger 1998:73, #80.
+ Couvercle de boîte en ivoire. Ugarit-Minet el-Beida. 1550-1200/1150 avant J.C. S. Beaulieu, dans Patai 1990, Plate 19.

Johanna H. Stuckey est un Professeur des Universités émérite, Université de York.