Couronne, faite de sarments de vigne et de noisettes (source)
Le monde végétal comme le monde animal fournit à la société paysanne traditionnelle une multitude d’éléments de base entrant non seulement dans la préparation d’une pharmacopée magique mais jouant également un rôle prophylactique par leur simple présence dans la maison. L’utilisation du matériau végétal dans la construction nécessitait déjà, nous l’avons vu, un rituel spécial s’appuyant essentiellement sur la période d’abattage puis du travail du bois.
La cueillette des plantes passe par les mêmes exigences et jusqu’à une époque récente les herboristes professionnels ne négligeaient pas de respecter non seulement l’époque mais également l’heure de la cueillette : milieu de la journée et milieu de la nuit étaient ainsi particulièrement propices. Des précautions supplémentaires, telles que celle de tracer un cercle autour de soi et autour des espèces que l’on cueillait étaient pareillement nécessaire pour éviter autant l’envoûtement par le démon que par la plante elle-même. Celle-ci est donc perçue pendant longtemps comme un être à part entière et la croyance universellement répandue d’espèces végétales pouvant engendrer des êtres humains participe du même esprit. Il n’est donc pas étonnant que les pouvoirs prêtés au monde végétal soient immenses et l’Église reprend à son compte l’essentiel des rites et des croyances le concernant. Ainsi, l’instant magique de la cueillette se raccorde progressivement aux grandes fêtes religieuses : de nombreuses régions ont voué un culte particulier aux plantes cueillies la veille de la Saint-Jean (Millepertuis, verveine, menthe, sauge, armoise, etc.). Feuilles de fougères, feuilles de noyer, herbes Saint-Jean (En Corse il s’agit de l’herbe de l’Ascension) sont alors tressées en couronnes, liées en bottes et suspendues au-dessus des portes et des fenêtres des habitations, dans les granges et les étables qu’elles protègent des forces malignes. Très fréquemment ce sont les restes calcinés du grand mât brûlé sur le bûcher de la Saint-Jean qui détiennent un pouvoir, particulièrement celui d’écarter la foudre, et chacun en serrait dans son armoire un précieux tison. Le pouvoir cathartique du feu de la Saint-Jean, par-dessus lequel tout le village sautait (dans nombre de régions chacun jetait une pierre dans le feu), s’étendait d’ailleurs aux bêtes du troupeau et, dans de nombreuses régions, on frottait les flancs des moutons ou des bêtes à cornes avec les cendres du bûcher (en Poitou on disait en même temps « Te garde monsieur saint Jean ».). La valeur du bois brûlé au solstice d’été se retrouve dans celui consumé au solstice d’hiver et »la cosse de Nô », la bûche brûlée durant la nuit de Noël dont on garde les restes d’une année sur l’autre, joue le même rôle protecteur en cas d’orage. Pour le combattre, on jetait aussi dans le feu des herbes de la Saint-Jean. La joubarbe passant également pour écarter le tonnerre et protéger de la maladie était souvent plantée sur le toit des maison de chaume ou aux abords de l’habitation. Notons que joubarbe signifie barbe de Jupiter ( »Jovis Barba »). De nombreux toits en sont encore couverts ainsi que les murs de clôture qui ferment la cour des maisons. Il n’est de ferme de la Limagne auvergnate qui ne possède son plant de joubarbe sur le pilier de la porte d’entrée de la cour. Dans d’autres régions, le Berry par exemple, c’est l’aubépine qui protège les bâtiments de la foudre et des maléfices ; cette coutume de préserver les habitations à l’aider d’une branche d’aubépine existait déjà chez les Romains. En Picardie et en Île de France, l’armoise jouait le même rôle. Plus modestement c’est pour empêcher les rats de pénétrer dans la maison ou dans la grange qu’en Champagne et en Picardie, on garnissait leurs trous de fleurs ayant servi aux reposoirs de la Fête-Dieu ou ayant frôlé l’ostensoir pendant la procession. De même, la bénédiction du prêtre rend bénéfique le rameau de buis ou de laurier et lui permet de protéger seuils de portes, cheminées, alcôves, et jusqu’aux ruches. Mais sans entrer dans le cadre des fêtes religieuses ou christianisées, le calendrier agraire fournissait déjà matière à un certain nombre de rites laissant des traces sur l’habitat. Ainsi, la fin des moissons est accompagnée de rites, familiaux ou touchant l’ensemble de la communauté villageoise : dernière poignée de tiges de blé, bouquets de plantes diverses où se mêle le blé, couronnes ou croix d’épis tressées sont allés pendant des siècles rejoindre sur le porche, la porte d’entrée ou le mur de la salle commune la panoplie apotropaïque. L’hommage rendu de cette façon aux divinités de la terre permettait d’obtenir l’année suivante des récoltes aussi abondantes et l’on n’omettait pas de joindre au blé de la semence quelques grains issus de ces »bouquets des moisson ». La plante peut également dans quelques cas exercer son pouvoir protecteur par la seule magie de sa forme : il en est ainsi des fleurs symboles-solaires, comme les chardons qui, dans les régions de montagne sont cloués sur la porte des maisons.
A suivre : les arbres…
Extrait de Symboles et pratiques rituelles dans la maison paysanne traditionnelle par Hervé Fillipetti & Janine Trotereau, aux éditions Berger Levrault, Paris.