Un foyer moderne… Photo par Trixi
{…} De tous les lieux de culte, la cheminée reste de loin le plus important et par le rôle essentiel qu’elle a dans la maison en tant que centre d’activités domestiques, et par les rites qui s’y déroulent, enfin par le décor dont elle est l’objet. Nous avons déjà relevé les actes qui marquaient la première utilisation de la cheminée d’une maison neuve : bénédiction, aspersion, sacrifice animal. Il était de plus recommandé de ne pas inaugurer cette cheminée n’importe quel jour de la semaine ou de l’année : le vendredi, le jour de la Sainte-Jeanne-d’Arc, celui de la Saint-Laurent (tous deux morts par le feu) étaient totalement exclus.
L’importance accordée au feu en tant que puissance carthartique et le rôle par ailleurs incomparable qu’il jouait dans la vie de tous les jours devaient donner au foyer une place privilégiée parmi les lieux de culte. Ce n’est pas un hasard si le terme de foyer désigne une famille, si celui de feu désigne une maison : c’est effectivement là que s’exprime l’essentiel de la communauté familiale. Et la hiérarchie qui marque la place des individus près du feu est un raccourci de celle qui guide les rapports de chacun dans la vie quotidienne. Le banc de l’ancêtre occupe dans la cheminée ou près d’elle une place privilégiée et c’est ce dernier qui y présidera les rites de Noël ; mais d’autres y ont aussi leur place, le lutin de la maison sa pierre réservée, le voyageur ou le mendiant son banc comme par exemple dans le Roussillon où toute cheminée avait son banc du pauvre. Le diable lui-même y jouait son rôle et dans les vieilles maisons périgourdines, les banc qui faisait face au coffre à sel était toujours laissé vacant car c’était la place du diable, et le dicton disait : la saliera d’un bord, la matagoetiera de l’autre, le matagot étant le symbole du démon.
De plus, lieu des rapports sociaux, c’est au feu de la cheminée que revient le rôle d’intermédiaire discret entre la famille et les alliés éventuels. {…} Le feu de la cheminée est donc témoin des rapports sociaux, il a une valeur sacrée, parfaitement identifiable dans la pratique du prêt du feu dans les anciennes communautés villageoises : s’apercevait-on de bon matin que le feu de la cheminée était éteint, on allait en quérir à la maison voisine et dans certains cas, chaque famille avait son tour de garde du feu. Mais le jour du nouvel An, chaque famille ne devait accepter de donner du feu.
Lieu des rapports sociaux, la cheminée est aussi lieu de pratiques magiques : nous avons déjà vu qu’en cas d’orage on y brûlait quelques herbes de la Saint-Jean (millepertuis,verveine, menthe, etc.) un brin de rameau bénit ou une fleur du cortège de la Fête-Dieu. C’est également dans la cheminée que, en Périgord, la mère attentive mettait à sécher une couronne de chèvrefeuille qui devait faire disparaître les boutons du visage de son enfant, qu’en Franche-Comté on pendait des joncs en croix pour guérir du mal blanc ou des aphtes. C’est là aussi que l’on plaçait en Touraine une branche de coudrier cueillie la nuit de Noël à minuit et qui, selon qu’elle y fleurissait ou non, devait prédire une année de bonheur ou de malheur pour la famille. La cheminée est donc constamment associée aux évènements importants de la maison et il est logique d’y retrouver, comme près du lit ou dans l’armoire, tout un décor d’objets posés sur la tablette ou accrochés au mur de la hotte, et qui expriment un condensé de la vie de famille, ses croyances, ses craintes.
C’est là que l’on retrouve en effet buis bénit et croix de bois, fer à cheval et œuf du jeudi ou du vendredi saint accompagnant les images pieuses et le diplômes, et, plus récemment les photographies et le calendrier des postes. Tout l’arsenal de la religion officielle, de la religion naturelle et leurs adjuvants trouvent ici son autel domestique le plus évident.
Extrait de Symboles et pratiques rituelles dans la maison paysanne traditionnelle par Hervé Fillipetti & Janine Trotereau, aux éditions Berger Levrault, Paris.