Mola Cuna
Je papotais hier avec Artus au sujet du quiltage, du batik et de la difficulté de leurs réalisations. Puis il m’a montré ce qu’était le mola. Le mola, ou l’art des Kuna (groupe ethnique amérindien qui vit sur les îles San Blas, sur la côte de Panama), est réalisé à la main avec une technique appliquée à revers. C’est l’élément central de l’habit Kuna. Il s’obtient par juxtaposition de plusieurs épaisseurs de tissus unis, aux couleurs contrastées, les motifs sont ainsi découpés dans les différentes couches de tissu, les couleurs sont donc soit révélées, soit mises en réserve, on utilise ainsi telle ou telle autre couleur des couches inférieures puis on réalise une broderie en incrustations. Les motifs sont naïfs et très colorés, ils représentent traditionnellement des formes géométriques, des scènes de la vie quotidienne, des animaux de la forêt mais aussi des animaux marins. Je ne sais pas si mon explication est très claire, si ce n’est pas le cas, l’article de wikipédia est plutôt bien fait.
Le mola m’a fait immédiatement penser aux peintures Huicholes (fils ou perles collés sur plaques ou sculptures en bois) et donc aux visions chamaniques obtenues par la consommation de cactus hallucinogènes. Je ne sais pas si les kunas en consomment, je n’ai pas trouvé grand chose sur le sujet, si ce n’est que leurs chamanes utilisent « certaines plantes psychotropes », qu’ils hument et mâchouillent, et qu’ils utilisent le tambour pour voyager dans l’Autre Monde. En tous cas, il se pourrait que le mola soit fortement lié aux chants chamaniques.
Par l’artiste huichol Rojelio Beuites.
La réalisation des molas est l’œuvre exclusive des femmes. Ceci s’explique à travers la cosmologie de ce peuple :
Les étoiles sont les lumières d’un groupe de maisons dont la nature est à mi-chemin entre les corps solides et l’air. Ces maisons sont habitées par de superbes femmes qui tissent le coton dans la nuit, éclairées par des lampes semblables à celles du peuple blanc. Elles se reproduisent elles-mêmes par la volonté de Paptummatti (littéralement le Grand Père) sans l’intervention des hommes, donnant toujours naissance à des filles.
Par Gomez Antonio, El Cosmos, Religion y Creencias de los Indios Cuna. In Boletin de Antropologia 3(11)55-98. Medelllin, Universidad de Antioquia. 1969.
Les indiens Cunas expliquent l’origine du mola par un mythe :
« Les molas viennent du kalu Tuipis.
C’était un lieu dangereux,
où vivaient les spécialistes des ciseaux…
Elles étaient de très belles femmes.
Dans ce kalu nul homme ne pouvait entrer,
Même chaman.
Lorsque l’un s’en approchait, l’une sortait.
Elle le séduisait, elle en faisait son mari,
Puis elle le renvoyait sans qu’il ait pu passer.
Alors on délégua Olonaguelidi, la sœur d’un chaman, un nele.
Elle put pénétrer dans le kalu Tuipis.
Elle entra, elle regarda.
Elle vit la première les maîtresses des arbres,
Pareilles à des femmes.
Elle vit la première ce lieu couvert de figures,
De signes changeants, tels les nuages du ciel,
De feuillages, de troncs, de pierres
Qui semblaient être purs dessins et écritures.
Elle vit la première les dessins des molas.
Elle vit des femmes qui coupaient,
D’autres qui cousaient.
Il y avait une table, de grands tissus.
De retour Olonaguedili compta à ses enfants :
Les dessins sont faits ainsi, dit-elle,
Le tissu se coupe comme ceci, se coud comme cela…
Les femmes l’interrogeaient…
Elle apprit ainsi dans la quatrième couche.
Avant les femmes s’habillaient de feuilles. »
(conté par E. G., Mulatupu, “ l’île de l’urubu ”, 1994)
Il n’y a pas de symbolisme explicite lié à la confection du / de la mola, mais on peut mettre en rapport leur technique de superposition de tissus avec leur conception du monde qui serait composé de 8 couches.
La terre a plusieurs couches, plusieurs pilli.
En chacune vivent des esprits et leurs maîtres.
Seul le chamane peut les visiter.
Dans la deuxième, il voit les choses d’ici,
Sauf les montagnes, qui sont moins hautes.
La troisième couche aussi est comme ici,
sauf le paysage, qui est plat.
Mais les chamanes ne peuvent pas aller plus loin.
Seuls ceux d’antan ont pénétré la quatrième couche.
Au-delà des huit couches,
il y aurait un autre monde.
(D’après E. Nördenskiöld )
Source des deux derniers textes : ULB