Rencontre avec la Déesse

Par Joëlle de Gravelaine

Extrait de : La Déesse sauvage, les divinités féminines : mères et prostituées, magiciennes et initiatrices (éditions Dangles)

J’ai pour ma part vécu une expérience étonnante en compagnie de deux autres femmes. L’une, médecin, avait a peu près mon âge ; l’autre, romancière, était sensiblement plus jeune. Cela se passait à Denderah. Nous faisions un voyage amical sur un bateau qui descendait le Nil. A bord, se trouvait un égyptien avec lequel nous avons sympathisé toutes les trois, et qui nous servait de guide. J’avais perçu très vite qu’il connaissait plus de choses qu’il ne nous en livrait, qu’il avait accès à un savoir que j’avais bien envie de partager un peu avec lui. Un jour il nous fit un exposé – très bref – sur Isis, qui me mit en colère. Je lui dis sans ambages que sur ce chapitre il ne m’avait rien appris, que j’étais par ailleurs convaincue qu’il en savait plus que moi et que je me sentais tout à fait frustrée par son silence. Il rit alors, devant ma colère me disant : « Il n’y a pas que vous qui soyez amoureuse d’Isis ! Si vous le voulez, à Denderah, je vous montrerai quelque chose mais je ne veux que vous, avec vos deux amies ; personne d’autre. »

J’attendis avec l’impatience qu’on imagine, après avoir proposé à mes « complices » de filer avec moi le jour dit. A peine débarquées du car qui nous conduisait a Denderah, temple d’Isis-Hathor, notre guide nous entraina vers la crypte, après m’avoir montré les vestiges de l’ancien sanctuaire, avec ses pierres gigantesques, et le filet d’eau courant au fond. Il me dit très vite :  » Ne regardez pas, mais il y a une femme en bas, avec son mari et sans doute son frère. Elle va s’accroupir là, car elle est stérile et elle attend de cette eau qu’elle la féconde. « Je jetai un œil en biais et l’aperçue, en effet, en bas dans le ravin, entre les pierres mégalithiques, encadrée par deux hommes.

Puis, abandonnant le reste du groupe, nous filâmes vers la crypte non éclairée. Il fallait descendre quelques marches d’un mauvais escalier de bois et se faufiler dans un goulet étroit. Il passa devant, balayant le sol de sa torche électrique. Il me prit alors par la main et m’entraina dans ce que je percevais comme un mur. Il m’incita à fermer les yeux, pour une meilleure concentration, et à attendre. Au bout de quatre a cinq secondes, je fus prodigieusement déconcertée par la soudaine sensation éprouvée : des contractions d’accouchement, violentes, profondes, rien à voir avec une quelconque sensation érotique ; comme des mains me pétrissant les entrailles. Je poussai un cri de surprise. Il attendit un moment, me reprit par la main et me fit faire demi-tour ; je me retrouvai devant le mur qui faisait exactement face au précédent.

A nouveau il m’invita a fermer les yeux. Et là, soudain, je vis – uniquement par le regard intérieur, bien sûr, puisque nous étions plongés dans la plus totale obscurité- les cornes d’Hathor avec son disque rouge, j’entrai dans ce disque où j’etais projetée en lui, et me sentis entrainée dans ce que j’appelai aussitôt une « danse d’électrons ». Impression forte, saisissante mais pas du tout angoissante. Je cédai alors la place a mon amie médecin, l’entendis pousser à son tour un « Oh! » aussi surpris que l’avait été mon « Ah ! » et en déduisis qu’elle venait de vivre la même sensation. En face, elle décrivit son expérience comme ayant été prise dans « un bombardement d’atomes ». La troisième, à la même et première place fit « Ah ! Oh ! » encore plus impressionnée que nous.Tellement impressionnée qu’elle refusa de s’immobiliser devant l’autre mur. Nous confrontâmes nos expériences : le résultat, de toute évidence correspondait à l’attente de notre guide.

Je demandais alors des explications. De quoi s’agissait-il ? Y avait-il quelque chose dans le sol, dans l’agencement des pierres ou des murs? Y avait-il des textes ? Notre homme leva alors sa torche et en balaya les murs sur lesquels apparaissaient des hiéroglyphes. Sur le mur de droite figurait un Horus finement ciselé. En face, un autre dieu faucon, identique au premier, mais lisse comme un galet travaillé par la mer. Et des hiéroglyphes également. » A droite, nous dit-il, c’est un texte sur la naissance physique, l’accouchement… C’est pourquoi seules les femmes peuvent vivre ici cette expérience. J’y ai amène de nombreuses amies ;toutes ont ressenti ce que vous avez décrit et celles qui ont eu des enfants identifient immédiatement la sensation éprouvée. En face, là où vous voyez cet Horus lisse, il y a un texte sur la mort et la naissance spirituelle. Cette image d’atomes ou d’électrons en mouvement est également décrite, le plus souvent en ces termes. »

Il nous entraina ensuite dans les grandes salles du Temple, là où on préparait les hiérodules, les prostituées sacrées, les prêtresses d’Hathor à rencontrer le Grand Prêtre. Et là, on peut l’avouer, les sensations étaient fort différentes, bien plus érotiques…

Notre disparition, bien que de peu de durée, avait provoqué quelques inquiétudes ; on nous chercha et certains hommes voulurent descendre à leur tour dans la crypte. Ils remontèrent furieux, vaguement conscient d’avoir été tenus à l’écart de quelque chose, d’avoir été exclus d’un mystère, frustrés et agacés. Et plus encore devant nos mines de conspiratrices réjouies. L’une des femmes présentes voulut explorer la crypte. Notre guide l’en dissuada, la mettant en garde : « N’allez pas trop loin à droite ! » Elle s’empressa de désobéir… pour remonter quelques instant plus tard, un peu pâle, racontant qu’elle s’était retrouvée à l’angle de deux « boyaux », les mains projetées en arrière dans la position de salutation qu’on peut voir sur les fresques égyptiennes, et presque renversée sur le dos, sans comprendre ce qui lui arrivait…

Ainsi, des siècles et des siècles après son édification, le temple de Denderah abrite encore des secrets, possède encore des pouvoirs. J’ai la conviction aujourd’hui que l’Égypte tout entière recèle encore des Mystères et que ces Mystères sont de même nature que ceux auxquels accédaient les inities. Je me suis jurée de revenir un jour a Denderah… pour essayer de percer quelques secrets de plus. Car ce Temple vit. Chaque pierre, chaque texte, vit de sa vie propre, charges d’une énergie dont la nature est indéfinissable mais tangible, pour qui veut l’éprouver et trouver en soi l’indispensable disponibilité.

Patchwork Quilting, Couvertures Magiques & Couvertures pour les Voyages Chamaniques

Patchwork Quilting, motifs

Je suis une quiche en couture, c’est un fait. C’est sûrement pourquoi je m’émerveille devant les travaux d’aiguille en tout genre. Même si je suis mauvaise dans ce domaine, je persévère et j’arrive parfois à réaliser des choses potables, tels que des rideaux, travaux tapissiers, etc. Certes, il ne faut pas y regarder de trop prêt. Je rêverais pourtant de réaliser des couvertures à fins magicks grâce au patchwork quilting. D’ailleurs, Coudre, broder, tricoter, tisser sont de purs actes magiques (l’échelle des sorcières en est un exemple simplifié : on y tisse notre vœu). Ils peuvent induire une légère transe ou état méditatif propices aux pratiques sorcières.

Les couvertures en patchwork ne font pas vraiment partie des articles de décoration que je préfère. Il faut bien avouer que la plupart sont assez immondes. Dans un cadre spirituel c’est une autre histoire. Leur conception, leur réalisation, leurs symboles et leurs usages sont autant d’outils incroyables qui auront certainement plus d’impact qu’un rituel entre deux bougies.

Une couverture pour la guérison serait utile dans le cadre de voyages dans l’Autremonde ou d’imposition des mains. Elle pourrait être décorée d’un motif comme :

  • une étoile à huit branches, symbolisant le soleil, les huit sabbats, fêtes solaires ;
  • un ours, animal qui connait l’usage des simples ;
  • du gui, l’herbe d’immortalité, de vigueur, de régénération physique ; ou comme les gaulois l’appelaient, l’herbe qui guérit tout ;
  • des feuilles de chêne symbolisant une longue vie, la force et l’endurance ;
  • une croix de Brighid, déesse entre autres de la guérison et de la fertilité ;
  • un Antahkarana pour les praticiens reiki (on dit que c’est un ancien symbole de guérison en Chine et au Tibet), etc.

On peut également choisir une couleur dominante symbolisant le but recherché. Dans ce cas, le rouge représente la vigueur, la santé. Ma grand-mère paternelle avait pour habitude d’utiliser une couverture rouge afin de guérir ses enfants et petits enfants, en particulier contre la rougeole.

Une couverture pour favoriser les rêves magiques, prophétiques, dans l’autre-monde pourrait être décorée d’un motif mystique tel que l’arbre-monde. On peut aussi s’amuser à représenter des pentagrammes, lunes, runes et autres symboles magiques plus ou moins kitschouilles. J’aurais tendance à choisir des couleurs douces, apaisantes et spirituelles, avec pour base le bleu et le mauve. Pauline Campanelli dans son ouvrage Wheel of Year préconise de jouer sur les nombres et de réaliser 13 rangées de 13 carrés de couleur indigo. Je détaillerai les motifs traditionnels du patchwork quilting un peu plus bas.

Une couverture pour l’amour, pour favoriser l’harmonie du couple, pourrait être décorée d’une lune et d’un soleil, symboles d’équilibre. Au même titre, on pourrait choisir de jouer avec des couleurs contrastées (sombres et lumineuses). Parmi les symboles sorciers traditionnels, on retrouve évidemment le Cœur. Il représente l’amour, l’amour durable et l’amour pour les autres.

On peut aussi réaliser des couvertures pour favoriser la fertilité, pour bénir de nouvelles entreprises, pour la protection, ou simplement dans le cadre d’une action de grâce, etc. Autant de prétextes pour l’expression et la créativité !

Le patchwork quilting est un art qui s’est développé entre le XVIIIème et le début du XIXème siècle en Amérique, parmi les femmes des pionniers. Les motifs réalisés sont autant de symboles de bonheur et d’amour. Leurs répétitions peuvent également avoir une signification, à vous de la déterminer.

Voici quelques exemples de motifs traditionnels :

Log Gabin,
Le sapin,
Dresden plate,
La roue du soleil à quatre carrés,
Les 9 carrés,
L’étoile à 8 branches, etc.

Les Vertus des Simples

Extrait du Guide Noir de l’Auvergne. (éditions Tchou Princesse)

Médecine Populaire

La Vertu des « simples »

La nature, en Auvergne, est plus animée qu’on ne le pense : les montagnes et les sources, les plantes et les bêtes ont chacune leur esprit, leur pouvoir, leur vertu. Chacun sait que les « simples » qui naissent sur les montagnes passent pour avoir plus de vertu que ceux des plaines. Les monts d’Auvergne à ce titre avaient naguère encore une renommée : on prisait fort leur véronique ou leur pied-de-chat et, du temps où Delarbre était directeur du jardin botanique de Clermont, le jardinier qui l’accompagnait dans ses voyages au « Mont d’Or » ou au Puy de Dôme cueillait les simples pour les vendre avec une étiquette allemande sous le nom prestigieux de « vulnéraires de Suisse ».

Aux yeux des paysans, chacun des simples était un remède fourni par Dieu à un mal : la joubarbe qu’on laissait pousser sur les murs était « l’herbe de la blessure ». On parlait aussi de l’herbe de Sainte-Marie dont les feuilles passées à la flamme et posées sur une plaie ou sur un furoncle en tiraient à merveille toute humeur. Telle autre essence avait pour vertu de décider un malade : « S’il est pour mourir, il mourra, sinon il s’en sauve », et il se dit aussi qu’on devient fou en foulant cette plante redoutable. Aussi s’en méfie-t-on comme du maléfique sureau appelé encore « arbre de Judas ». Malheur à celui qui se servirait d’une de ses baguettes pour aiguillonner les bœufs, ces animaux en perdraient leur poil. Il suffit même d’y toucher pour perdre son chemin. Le noisetier, en revanche, est si propice que si, de la plus mince baguette, on frappe un serpent, le reptile en reste comme pétrifié. On pourrait faire le tour du monde sans risques avec une canne de noisetier. Il est béni. Ne fleurit-il pas à chaque fête de la Sainte-Vierge ?

Certaines plantes ont plus de pouvoir encore, la capillaire éloigne les loups-garous, l’angélique préserve de tout maléfice et « l’herbe au pivert » a pour pouvoir de faire découvrir les trésors. Quant à la verveine, elle a si grande vertu qu’il suffit d’en frotter sa main avant d’aller serrer celle d’un tiers pour faire amitié avec lui.

Bien des jardins dans les bonnes maisons de campagnes étaient autrefois composées en jardin d’apothicaire. On y faisait pousser l’ache et la rue, le fenouil et le souchet, la germandrée et la « toute-bonne ». « Autrefois » est peut-être de trop : on assure qu’à Aubière, dans la banlieue clermontoise, il est encore de tels jardins…l

Bientôt le mois de Juin : la pluie d’orage

Par Pauline Campanelli ©, traduction Lune

Extrait de Wheel of the Year, éditions Llewellyn.

C’est la saison des gros orages d’été, accompagnés de la foudre et d’éclairs. C’est donc la bonne période pour collecter l’eau de pluie qui est chargée avec le pouvoir de l’orage. Plus l’orage sera fort, plus l’eau de pluie sera puissante magiquement. La pluie devra être recueillie dans un récipient en verre ou en porcelaine. Le récipient ne devra pas toucher la Terre, ou bien l’énergie retournera en terre. Cette eau puissamment chargée peut être conservée d’un orage à l’autre, ou lors des saisons sans orage. Cette eau ajoutera son énergie particulière aux breuvages à base d’herbes, et peut être utilisée pour les onctions ou aspersions dans le cadre de tout rituels, pour soulever, générer ou transmettre le pouvoir ; cependant, l’eau conservée trop longtemps ne devra pas être ingérée.

Asherah, Déesse Suprême du Levant Antique

Par Johanna H. Stuckey ©, traduction & adaptation Lune


Pendentif en or.
Ugarit-Ras Shamra.
1550-1200/1150 avant J. C.
S. Beaulieu, dans Negbi 1976, Plate 53, #1661.

Dès qu’El la vit
Il ouvrit sa bouche et rit
…il éleva la voix et cria :
« Pourquoi Dame Asherah-de-la-Mer est-elle arrivée ?
pourquoi la Mère des Dieux vient-elle ? »
(Coogan 1978:100)

Bien que les textes provenant de l’antique ville syrienne Ugarit ne nomme pas explicitement Asherah en tant que consort d’une déité mâle suprême, elle était probablement son homologue féminin, car elle était Elat, « Déesse », El, « Dieu » (Hadley 2000 :38). En effet, Asherah et El fonctionne comme « le couple suprême », et leur descendance inclue « toutes les autres déités de la première génération » (Olmo Lete 1999:47). Comme El, Asherah était d’abord une figure de l’autorité, mais seulement une autorité que l’on accorde au féminin dans le cadre d’une culture patriarcale. Parmi les déesses ugaritiques, seule Asherah portait une broche, symbole féminin et domestique (Coogan 1978:97; Hadley 2000:39).

Arrivant quasiment en tête des listes de divinités et d’offrandes, Asherah était certainement la déesse la plus importante d’Ugarit (Binger 1997:89). Comme il convient à une déesse patronne d’une ville qui fait du commerce maritime, son nom complet, athirat yam, signifie « Elle marche sur la Mer, » (Coogan 1978:116; Hadley 2000:49-51). Dans les mythes, bien qu’elle n’ait pas un rôle central, Asherah joue toujours une part décisive. Elle a « un pouvoir suffisant pour qu’El veuille suivre ses conseils au sujet de Baal, son successeur » (Hadley 2000:39; Coogan 1978:111).


Buire Décorée.
Lachish, Israel.
1550-1200/1150 avant J. C.
S. Beaulieu, dans Keel et Uelinger 1998:73, #81

A cause de l’un de ses épithètes : « Créatrice, ou Génitrice, des Dieux » (Coogan 1978:97), et de ses soixante-dix fils (Coogan 1978:104), on suppose qu’Asherah était probablement une « déesse mère ». Bien sûr, en tant que « créatrice » et « nourrice » des dieux, Asherah était « d’une façon ou d’une autre liée à la naissance et à la fertilité » (Hadley 2000:43). Cependant, étant donné son autorité et son rôle d’éminence grise, il est peu probable qu’elle fut seulement une déesse de la fertilité.

L’une des fonctions d’Asherah semble avoir été d’agir comme médiatrice entre les autres divinités et El le suprême. Bien que la venue d’Anat et de Baal, des déités agressives, la terrifie tout d’abord, Asherah s’apaise après qu’ils lui aient offert de somptueux présents, et étant d’un rang nettement supérieur au leur, elle entreprend d’approcher El en leurs noms (Coogan 1978:98, 99-101 Hadley 2000:39).


Buire Décorée.
Lachish, Israel.
1550-1200/1150 avant J. C.
S. Beaulieu, dans Keel & Uelinger 1998:73, #80.

Asherah peut également défendre ses prérogatives avec férocité. Dans un poème, Kirta, elle inflige une punition rapide et sévère à un humain, qui a brisé un serment (Coogan 1978:67; Hadley 2000:41). C’est ce poème qui mentionne sa position souveraine au sein de deux autres villes majeures de l’antique Levant, villes qu’elle semble bien avoir dirigé au cours de la période Romaine (Hadley 2000:42). Elle est « Asherah de Tyre » et « la déesse elat de Sidon » (Coogan 1978:63). Le poème utilise également le mot Qudshu, que certains traducteurs restituent comme le « sanctuaire » (Coogan 1978:63), et d’autres comme la « Sainte » qui est probablement un épithète d’Asherah (Hadley 2000:47). Le fait qu’El promette au roi Kirta qu’Asherah se joindra à Anat pour allaiter l’héritier royal, suggère qu’Asherah était également une « garante divine du trône » (Pettey 1990:16).

La déesse patronne d’Ugarit était également révérée dans d’autres parties du Levant et de nombreuses preuves suggèrent qu’Asherah aurait pu avoir un lien particulièrement étroit avec les arbres. Un tel lien ne serait pas surprenant car, généralement au sein de l’antique Méditerranée Orientale, les déesses, et ce que les spécialistes appellent « les arbres sacrés », semblent aller de pair. Des fouilles réalisées dans la ville cananéenne de Lachish (Tubb 1998:79-80) de la fin de l’âge de Bronze, ont mis à jour la Buire de Lachish, habituellement perçue comme cananéenne et datée de « la fin du 13ème siècle avant J.C. » (Hestrin 1987:212). Son décor « consiste en une rangée d’animaux et d’arbres », au-dessus de laquelle il y a une inscription : « Mattan. Une offrande à ma Dame ‘Elat’ » (Hestrin 1987:211,214). Une personne nommée Mattan a offert la buire et probablement son contenu au temple de la déesse Elat (Hadley 2000:159).

Ce qui est vraiment fascinant, c’est que le mot Elat, pour désigner la déesse, est placé directement sur un des arbres stylisés (Hadley 2000:156; 157, #8). L’artiste a terminé les dessins pour ensuite réaliser l’inscription (Hadley 2000:160), de manière à ce que le mot ne soit pas situé « par hasard » (Hestrin 1987:220). Ainsi, le mot Elat a été probablement placé là afin de désigner l’arbre comme étant la déesse, pour signifier qu’il « représentait sa présence ».

Cependant, à quelles déesses de Levant, Elat fait-elle référence ? Dans la Bible Hébraïque, elah, la forme grammaticale féminine de el, apparaît dix-sept fois, mais est toujours traduite par « chêne » ou « térébinthe », qui est un arbre sacré. De plus, « toutes les occurrences du mot peuvent être comprises comme « l’arbre » sans nuire au texte ; cependant, de la même façon, la traduction à certains endroits peut être « la déesse » (Binger 1997:135). Dans les textes ugaritiques, même si elat peut vouloir dire « déesse d’une façon plutôt générale », cela peut aussi être un des titres d’Asherah, « proche d’un nom » (Pettey 1990:13).

En conséquence, un bon nombre de spécialistes pense que le « Elat » de la Buire de Lachish nomme la Déesse cananéenne Asherah (Hadley 2000:159-160; Keel et Uehlinger 1998:72; Pettey 1990:181; Smith 1990:82; Hestrin 1987:220). Cependant, cette identification ne prouve définitivement pas que l’arbre sacré Levantin ait toujours représenté Asherah, bien qu’il soit clair qu’un arbre sacré pourrait représenter toutes ou une partie des déesses.

Un autre artefact issu des fouilles de Lachish vient appuyer la théorie. Il s’agit d’une coupe décorée de « deux bouquetins affrontés, reproduits quatre fois » (Hestrin 1987: 215). Ils ne sont pas flanqués d’arbre mais « d’un triangle inversé, parsemé de points » (Keel 1998:34; Part I, #50; Hestrin1987:215, #2; 216, #3). La plupart des spécialistes interprètent l’image invertie comme celle d’un triangle pubien (Keel et Uehlinger 1998:72; Hestrin 1991:55; Hestrin 1987:215). Ils voient donc cette célèbre représentation comme la substitution de l’arbre sacré par le symbole de la vulve… et il est donc fortement probable que l’arbre symbolise, en effet, la déesse de la fertilité… ». En réponse aux doutes des spécialistes, Othmar Keel parle « de preuve publiée récemment » issue de trois sites différents en Israël qui « peuvent confirmer » que les triangles sur la coupe de Lachish représentent des triangles pubiens (Keel 1998:34-35; Part I, #51, 52).

Ainsi, il semble qu’à l’âge de Bronze, au Levant, l’arbre était quasiment synonyme de déesse. Non seulement des pendentifs dépeignent des déesses avec des arbres poussant de leurs triangles vulvaires (voir image, en haut de la page), des sceaux et autres artefacts montrent des arbres, accompagnés d’animaux qui broutent, près de la déesse, mais l’un des plus magnifiques objets issus d’Ugarit montre une déesse tel un arbre (1). Sur le fragment du couvercle en ivoire sculptée d’une petite boîte, une déesse prend la position normalement tenue par l’arbre sacré et nourrit des animaux qui ressemblent à des boucs. Ceux-là se dressent pour prendre la végétation de ses mains (Keel 1998: Part I, #43; Patai 1990: Plate19). Malgré cet exquis témoignage, datant de la fin de l’âge de bronze, sur l’identité de la déesse et de l’arbre, Keel démontre que, à cette période, la représentation de la déesse « est en grande partie remplacée par l’arbre flanqué de caprins » (Keel 1998:35). Peu à peu, au cours de l’âge de fer, l’image de « l’arbre sacré et des animaux ressemblant aux boucs » se raréfie en Israël et en Judée (Keel et Uehlinger 1998:399-400), bien qu’elle ait continué à être un important symbole au sein de toutes les cultures de la Méditerranée Orientale antique. Le symbole de l’arbre, cependant, peut avoir survécu même en Judée, sous la forme du « chandelier à sept branches de la tradition sacerdotale » (Keel 1998:56).

A partir de ses textes mythiques et cultuels, nous avons vu qu’Asherah était la déesse patronne d’Ugarit, aussi bien que des villes de Tyre et Sidon. Sans aucun doute, Asherah a continué à être une déesse importante du Levant au cours du premier millénaire avant J.C., particulièrement à certains endroits. De plus, il est possible qu’elle ait été, pendant un temps, consort du dieu d’Israël Yahvé . Cependant, c’était le destin d’Asherah, comme celui d’Anat et Astarté, de lentement commencer à disparaître, comme entité séparée.

L’identité de la Tanit de Carthage a été le centre de discussions érudites, comme pour les trois grandes déesses cananéennes (Pettey 1990:32). Cependant, il semble désormais qu’il est communément accepté qu’Asherah ait probablement survécu en Tanit, la déité patronne de la prospère colonie Phénicienne de Carthage, en Afrique du Nord (Pettey 1990:32). Avec les Carthagéniens, le culte de Tanit/Asherah s’étendit loin de sa patrie Levantine originelle, au-delà de la Méditerranée, en Europe Occidentale. De plus, au cours de la période Gréco-romaine, une grande déesse Atargatis était adorée dans le Levant, et son nom indique qu’elle était probablement une fusion des trois grandes déesses Levantines (Pettey 1990:32-33). Le culte d’Atargatis s’étendait à travers toute la Méditerranée depuis la Syrie, et s’est bien poursuivi jusqu’au troisième siècle de notre ère (Godwin 1981:150-152, 158 #124). Ainsi, Asherah et ses déesses sœurs ont continué à vivre à travers la puissante et très aimée « Déesse Syrienne ».

Notes :
(1) L’objet semble avoir un style Mycénien tardif, mais la « disposition symétrique est purement Mésopotamienne et Syrienne… » (R.D. Barnett cité in Keel 1998:31).


Couvercle de boîte en ivoire.
Ugarit-Minet el-Beida.
1550-1200/1150 avant J.C.
S. Beaulieu, dans Patai 1990, Plate 19.

Bibliographie :

+ Binger, Tilde 1997. Asherah: Goddesses in Ugarit, Israel and the Old Testament. Sheffield, UK: Sheffield Academic. Journal for the Study of the Old Testament, Supplement Series 232.
+ Coogan, Michael D., tr. 1978. Stories from Ancient Canaan. Louisville, KY:
+ Godwin, Joscelyn 1981. Mystery Religions in the Ancient World. London: Thames and Hudson.
+ Hadley, Judith M. 2000. The Cult of Asherah in Ancient Israel and Judah: Evidence for a Hebrew Goddess. Cambridge: Cambridge University.
+ Hestrin, Ruth 1987. « The Lachish Ewer and the `Asherah, » Israel Exploration Journal 37:212-223.
+ Keel, Othmar 1998. Goddesses and Trees, New Moon and Yahweh: Ancient Near Eastern Art and the Hebrew Bible. Sheffield, UK: Sheffield Academic.
+ Keel, Othmar and Christoph Uehlinger 1998. Gods, Goddesses, and Images of God in Ancient Israel. Minneapolis, MN: Fortress.
+ Negbi, Ora 1976. Canaanite Gods in Metal: An Archaeological Study of Ancient Syro-Palestinian Figures. Tel Aviv: Tel Aviv University.
+ Olmo Lete, Gregorio del 1999. Canaanite Religion According to the Liturgical Texts of Ugarit. Bethesda, MD: CDL.
+ Patai, Raphael 1990 (1978). The Hebrew Goddess: Third Enlarged Edition. Detroit, MI: Wayne State University.
+ Pettey, Richard J. 1990. Asherah: Goddess of Israel. New York: Lang.
+ Smith, Mark S. 1990. The Early History of God: Yahweh and the Other Deities in Ancient Israel. San Francisco: Harper and Row.
+ Tubb, Jonathan N. 1998. Canaanites. Norman, OK: University of Oklahoma.

Crédits des images :

+ Pendentif en Or. Ugarit-Ras Shamra. 1550-1200/1150 BCE. S. Beaulieu, dans Negbi 1976, Plate 53, #1661.
+ Buire Décorée. Lachish, Israel. 1550-1200/1150 BCE. S. Beaulieu, dans Keel et Uelinger 1998:73, #81.
+ Buire Décorée. Lachish, Israel. 1550-1200/1150 BCE. S. Beaulieu dans Keel et Uelinger 1998:73, #80.
+ Couvercle de boîte en ivoire. Ugarit-Minet el-Beida. 1550-1200/1150 avant J.C. S. Beaulieu, dans Patai 1990, Plate 19.

Johanna H. Stuckey est un Professeur des Universités émérite, Université de York.