Le caractère sacré des plantes : le mai

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Mais le plus étrange des cultes rendus à la végétation, le plus répandu, le plus tenace, celui qui marque le plus le paysage villageois est certainement le mai, le culte de l’arbre, à rapprocher de celui rendu par les Gaulois au dieu Esus. Au jour du 1er mai, mais de manière plus générale à chaque moment important de la vie familiale ou villageoise, un arbre de grande dimension ou une modeste branche, plus ou moins richement décorés, sont plantés à l’endroit que l’on veut honorer. Du mai de moisson, simple branchage de chêne ou de frêne orné de guirlandes et dressé sur la dernière charrette de gerbes, au mai de mariage du lendemain de la noce, où devant la maison de la fille l’on dresse un arbre, en passant par le rameau planté dans le fumier (curieusement le mai planté sur le fumier est censé éloigner les serpents ; dans certaines régions on dit « empêche les serpents d’aller téter les vaches ». Ce qui donne un saisissant rapprochement de deux mythes répandus dans les religions anciennes associant l’arbre et le serpent.) de la cour, c’est le même symbole de fécondité qui transparait. Mais le mai le plus imposant reste celui dressé sur la place du village, ou devant la maison du maire (autrefois du seigneur), transporté en triomphe et dont la mise en place est accompagnée de libations. Cette coutume du mai, qu’on laisse sécher sur place (car l’arracher porte malheur) fut même respectée autrefois dans les grandes villes et Paris n’échappait pas à la règle commune. Le mai christianisé qu’est le sapin de Noël, rite païen d’origine nordique, atteste encore, en milieu urbain, le maintien du culte rendu à l’arbre-dieu.

Extrait de Symboles et pratiques rituelles dans la maison paysanne traditionnelle par Hervé Fillipetti & Janine Trotereau, aux éditions Berger Levrault, Paris.

Le caractère sacré des plantes

Couronne
Couronne, faite de sarments de vigne et de noisettes (source)

Le monde végétal comme le monde animal fournit à la société paysanne traditionnelle une multitude d’éléments de base entrant non seulement dans la préparation d’une pharmacopée magique mais jouant également un rôle prophylactique par leur simple présence dans la maison. L’utilisation du matériau végétal dans la construction nécessitait déjà, nous l’avons vu, un rituel spécial s’appuyant essentiellement sur la période d’abattage puis du travail du bois.

La cueillette des plantes passe par les mêmes exigences et jusqu’à une époque récente les herboristes professionnels ne négligeaient pas de respecter non seulement l’époque mais également l’heure de la cueillette : milieu de la journée et milieu de la nuit étaient ainsi particulièrement propices. Des précautions supplémentaires, telles que celle de tracer un cercle autour de soi et autour des espèces que l’on cueillait étaient pareillement nécessaire pour éviter autant l’envoûtement par le démon que par la plante elle-même. Celle-ci est donc perçue pendant longtemps comme un être à part entière et la croyance universellement répandue d’espèces végétales pouvant engendrer des êtres humains participe du même esprit. Il n’est donc pas étonnant que les pouvoirs prêtés au monde végétal soient immenses et l’Église reprend à son compte l’essentiel des rites et des croyances le concernant. Ainsi, l’instant magique de la cueillette se raccorde progressivement aux grandes fêtes religieuses : de nombreuses régions ont voué un culte particulier aux plantes cueillies la veille de la Saint-Jean (Millepertuis, verveine, menthe, sauge, armoise, etc.). Feuilles de fougères, feuilles de noyer, herbes Saint-Jean (En Corse il s’agit de l’herbe de l’Ascension) sont alors tressées en couronnes, liées en bottes et suspendues au-dessus des portes et des fenêtres des habitations, dans les granges et les étables qu’elles protègent des forces malignes. Très fréquemment ce sont les restes calcinés du grand mât brûlé sur le bûcher de la Saint-Jean qui détiennent un pouvoir, particulièrement celui d’écarter la foudre, et chacun en serrait dans son armoire un précieux tison. Le pouvoir cathartique du feu de la Saint-Jean, par-dessus lequel tout le village sautait (dans nombre de régions chacun jetait une pierre dans le feu), s’étendait d’ailleurs aux bêtes du troupeau et, dans de nombreuses régions, on frottait les flancs des moutons ou des bêtes à cornes avec les cendres du bûcher (en Poitou on disait en même temps « Te garde monsieur saint Jean ».). La valeur du bois brûlé au solstice d’été se retrouve dans celui consumé au solstice d’hiver et  »la cosse de Nô », la bûche brûlée durant la nuit de Noël dont on garde les restes d’une année sur l’autre, joue le même rôle protecteur en cas d’orage. Pour le combattre, on jetait aussi dans le feu des herbes de la Saint-Jean. La joubarbe passant également pour écarter le tonnerre et protéger de la maladie était souvent plantée sur le toit des maison de chaume ou aux abords de l’habitation. Notons que joubarbe signifie barbe de Jupiter ( »Jovis Barba »). De nombreux toits en sont encore couverts ainsi que les murs de clôture qui ferment la cour des maisons. Il n’est de ferme de la Limagne auvergnate qui ne possède son plant de joubarbe sur le pilier de la porte d’entrée de la cour. Dans d’autres régions, le Berry par exemple, c’est l’aubépine qui protège les bâtiments de la foudre et des maléfices ; cette coutume de préserver les habitations à l’aider d’une branche d’aubépine existait déjà chez les Romains. En Picardie et en Île de France, l’armoise jouait le même rôle. Plus modestement c’est pour empêcher les rats de pénétrer dans la maison ou dans la grange qu’en Champagne et en Picardie, on garnissait leurs trous de fleurs ayant servi aux reposoirs de la Fête-Dieu ou ayant frôlé l’ostensoir pendant la procession. De même, la bénédiction du prêtre rend bénéfique le rameau de buis ou de laurier et lui permet de protéger seuils de portes, cheminées, alcôves, et jusqu’aux ruches. Mais sans entrer dans le cadre des fêtes religieuses ou christianisées, le calendrier agraire fournissait déjà matière à un certain nombre de rites laissant des traces sur l’habitat. Ainsi, la fin des moissons est accompagnée de rites, familiaux ou touchant l’ensemble de la communauté villageoise : dernière poignée de tiges de blé, bouquets de plantes diverses où se mêle le blé, couronnes ou croix d’épis tressées sont allés pendant des siècles rejoindre sur le porche, la porte d’entrée ou le mur de la salle commune la panoplie apotropaïque. L’hommage rendu de cette façon aux divinités de la terre permettait d’obtenir l’année suivante des récoltes aussi abondantes et l’on n’omettait pas de joindre au blé de la semence quelques grains issus de ces  »bouquets des moisson ». La plante peut également dans quelques cas exercer son pouvoir protecteur par la seule magie de sa forme : il en est ainsi des fleurs symboles-solaires, comme les chardons qui, dans les régions de montagne sont cloués sur la porte des maisons.

A suivre : les arbres…

Extrait de Symboles et pratiques rituelles dans la maison paysanne traditionnelle par Hervé Fillipetti & Janine Trotereau, aux éditions Berger Levrault, Paris.

La cheminée, lieu de culte, autel domestique.

Un foyer moderne… Photo par Trixi

{…} De tous les lieux de culte, la cheminée reste de loin le plus important et par le rôle essentiel qu’elle a dans la maison en tant que centre d’activités domestiques, et par les rites qui s’y déroulent, enfin par le décor dont elle est l’objet. Nous avons déjà relevé les actes qui marquaient la première utilisation de la cheminée d’une maison neuve : bénédiction, aspersion, sacrifice animal. Il était de plus recommandé de ne pas inaugurer cette cheminée n’importe quel jour de la semaine ou de l’année : le vendredi, le jour de la Sainte-Jeanne-d’Arc, celui de la Saint-Laurent (tous deux morts par le feu) étaient totalement exclus.

L’importance accordée au feu en tant que puissance carthartique et le rôle par ailleurs incomparable qu’il jouait dans la vie de tous les jours devaient donner au foyer une place privilégiée parmi les lieux de culte. Ce n’est pas un hasard si le terme de foyer désigne une famille, si celui de feu désigne une maison : c’est effectivement là que s’exprime l’essentiel de la communauté familiale. Et la hiérarchie qui marque la place des individus près du feu est un raccourci de celle qui guide les rapports de chacun dans la vie quotidienne. Le banc de l’ancêtre occupe dans la cheminée ou près d’elle une place privilégiée et c’est ce dernier qui y présidera les rites de Noël ; mais d’autres y ont aussi leur place, le lutin de la maison sa pierre réservée, le voyageur ou le mendiant son banc comme par exemple dans le Roussillon où toute cheminée avait son banc du pauvre. Le diable lui-même y jouait son rôle et dans les vieilles maisons périgourdines, les banc qui faisait face au coffre à sel était toujours laissé vacant car c’était la place du diable, et le dicton disait : la saliera d’un bord, la matagoetiera de l’autre, le matagot étant le symbole du démon.

De plus, lieu des rapports sociaux, c’est au feu de la cheminée que revient le rôle d’intermédiaire discret entre la famille et les alliés éventuels. {…} Le feu de la cheminée est donc témoin des rapports sociaux, il a une valeur sacrée, parfaitement identifiable dans la pratique du prêt du feu dans les anciennes communautés villageoises : s’apercevait-on de bon matin que le feu de la cheminée était éteint, on allait en quérir à la maison voisine et dans certains cas, chaque famille avait son tour de garde du feu. Mais le jour du nouvel An, chaque famille ne devait accepter de donner du feu.

Lieu des rapports sociaux, la cheminée est aussi lieu de pratiques magiques : nous avons déjà vu qu’en cas d’orage on y brûlait quelques herbes de la Saint-Jean (millepertuis,verveine, menthe, etc.) un brin de rameau bénit ou une fleur du cortège de la Fête-Dieu. C’est également dans la cheminée que, en Périgord, la mère attentive mettait à sécher une couronne de chèvrefeuille qui devait faire disparaître les boutons du visage de son enfant, qu’en Franche-Comté on pendait des joncs en croix pour guérir du mal blanc ou des aphtes. C’est là aussi que l’on plaçait en Touraine une branche de coudrier cueillie la nuit de Noël à minuit et qui, selon qu’elle y fleurissait ou non, devait prédire une année de bonheur ou de malheur pour la famille. La cheminée est donc constamment associée aux évènements importants de la maison et il est logique d’y retrouver, comme près du lit ou dans l’armoire, tout un décor d’objets posés sur la tablette ou accrochés au mur de la hotte, et qui expriment un condensé de la vie de famille, ses croyances, ses craintes.

C’est là que l’on retrouve en effet buis bénit et croix de bois, fer à cheval et œuf du jeudi ou du vendredi saint accompagnant les images pieuses et le diplômes, et, plus récemment les photographies et le calendrier des postes. Tout l’arsenal de la religion officielle, de la religion naturelle et leurs adjuvants trouvent ici son autel domestique le plus évident.

Extrait de Symboles et pratiques rituelles dans la maison paysanne traditionnelle par Hervé Fillipetti & Janine Trotereau, aux éditions Berger Levrault, Paris.

Les Rites Familiaux

Pour la kitchen witch française, voici un petit extrait d’un livre que j’aime beaucoup : Symboles et pratiques rituelles dans la maison paysanne traditionnelle par Hervé Fillipetti & Janine Trotereau, aux éditions Berger Levrault, Paris. Je l’ai découvert dans la bibliothèque du service patrimoine d’une ville de province, lorsque j’y travaillais comme aide-documentaliste. Ce livre est donc tout à fait sérieux et sa bibliographie en témoigne. Il est hélas épuisé, on peut tout de même le trouver d’occasion sur le net mais à des prix assez élevés. Je me contenterai donc de ma version photocopiée ^^

En Basse-Normandie, on disait avant d’enfourner le pain : ‘Pain que le feu te cuise et que Dieu te bénisse.‘ La fabrication du beurre était accompagnée de rites identiques. Ainsi en Sologne psalmodiait-on tout au long du barattage : ‘Beurri, beurra, mon beurre se f’ra ; Beurri, beurré, mon beurre est fait‘ Et ce travail du beurre devait se faire faire en secret, sans spectateur autre que la personne qui barattait si l’on voulait assurer sa réussite. En Anjou, c’est en broyant les noix qu’il fallait chanter afin que l’huile ne se fige pas. En Brie, on mélangeait au sel servant à la fabrication du fromage des cendres du feu de la Saint-Jean pour éviter les vers et en Beauce de l’eau puisée le matin même de ce jour. Par ailleurs, certains jours de la semaine paraissaient néfastes pour effectuer certains travaux ménagers : par exemple faire le lit ou changer les draps le mercredi.

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Par ailleurs les mets préparés peuvent avoir des vertus magiques et leur préparation devient alors plus qu’un acte domestique, un acte rituel : il en est ainsi par exemple de l’omelette au fenouil de la Gironde considérée comme propre à préserver des sorts, ou plus simplement des crêpes de la chandeleur qu’il fallait manger en Poitou pour que les poules soient bonnes pondeuses ou de manière plus générale pour être assuré d’avoir argent et bonheur l’année durant (dans certaines régions du nord, il était conseillé aux femmes mariées de tremper leur alliance dans la pâte de ces crêpes). Les gestes qui accompagnent la préparation sont aussi proprement rituels : signer d’une croix la pâte, jeter la première crêpe sur le haut de l’armoire où on la laissera jusqu’à l’année suivante, tenir une pièce d’argent dans la main pendant que l’on fait sauter sa crêpe, toutes ces coutumes montrent bien la valeur symbolique du repas de crêpes. Il en est de même pour les œufs durs que l’on mangeait le dimanche de pâques en Auvergne comme dans beaucoup d’autres régions de France. {…}

Je citerai d’autres extraits à l’occasion.

Fossiles & Pierres Sorcières

Collection perso

Vous vous souvenez du billet sur la pierre trouée / amulette, de l’article de Doreen Valiente sur ces fameuses holey/holy stones ou encore du charme de la pierre sacrée consacrée à Diane dans l’Evangile des Sorcières ? Je suis tombée à nouveau sur le sujet en lisant Secrets of East Anglian Magic de Nigel Pennick. J’en ai fait une petite traduction.

Fossiles & Pierres trouées chez les Angles de l’Est (et pas de la carte =))

Nous conservons dans nos maisons des fossiles échinoïdes (ndlt : oursins) appelés Frairy Loaves (fairy loaves) afin qu’ils apportent la bonne fortune. Si l’on en garde une sur une étagère, on dit que les membres du foyer ne manqueront jamais de pain. Les Frairy Loaves ressemblent beaucoup à une sorte de petit pain traditionnel que l’on fabrique encore de nos jours – à Wiesbaden et dans d’autres parties de l’Allemagne. Il est probable que les ancêtres germaniques des Angles de l’Est fabriquaient leur pain sous cette forme. Les Pierres Trouées, les pierres percées de trous naturels, abondent parmi les galets sur les plages de la côte est {..}. Peintes en blanc, nous les utilisons pour garder l’entrée de notre garage. Nous les suspendons également avec une ficelle à la porte, côté intérieur, comme protection contre le mal lorsque la porte est ouverte. On la suspend sur le même clou que la clef de la porte, on considère que la combinaison de clou en fer, de fil de lin, d’une pierre trouée et d’une clef en fer porte chance. Les pierres trouées, également suspendues à l’aide d’une ficelle en lin ou d’une lanière en cuir dans la chambre, servent à éloigner les cauchemars. Suspendues aux poutres de l’étable, elles préservent les chevaux de souffrir de diverses maladies et d’être « monté par une sorcière » (ndlt : hag-ridden, c’est un terme désuet utilisé pour décrire un cheval qui a passé la nuit dans son écurie et que l’on retrouve en sueur le lendemain, on dit que le cheval a « eu un cauchemar », qu’il a été « hag-ridden » / « monté par une sorcière ». Les sorcières ou les fées auraient ainsi épuisé le cheval toute la nuit). Les ficelles de 9 ou 27 pierres trouées, que l’on suspend, sont des charmes particulièrement puissants. Certains disent que clouer trois fers à cheval à la tête ou au pied du lit est un remède sûr contre les conséquences néfastes de l’alcool.