Je viens d’ajouter quelques textes à la nouvelle rubrique du Sidh, consacrée à l’union des mains. J’en ai déplacé d’autres que j’ai eu envie de relire. Ils m’ont rappelé de bons souvenirs et l’un d’entre eux m’a particulièrement ému, une fois encore. C’est de la plume de Véro.
Un handfasting comme on en rêve
Par Véro © 2006
Photo par Faerysequins
Il se rappelait les paroles qu’elle lui avait dites il y avait quelques mois. Au début de ce qu’elle considérait comme leur nouvelle vie. Après quelques années d’indifférence et somme toute de frustrations était venue la colère, puis la rage suicidaire, les larmes, les cris. Et puis, quand ils pensaient tous les deux être au bord du gouffre il avait trouvé la force de dire les mots qu’elle attendait sans doute depuis longtemps. Il l’avait acceptée dans son monde, ce domaine qui jusque là lui servait de refuge, il avait ouvert une porte invisible et pourtant si solide ! La porte contre laquelle elle avait buté si souvent mais qu’elle n’avait jamais osé pousser.
Un après midi il lui avait demandé de se dévêtir, il lui avait bandé les yeux, lié les mains et l’avait initiée. C’est sans doute ce qu’un thérapeute aurait appelé un choc salvateur. Toujours est il que leur vie en fut bouleversée. Et après elle lui avait dit :
« je voudrais encore quelque chose. Je voudrais que tu m’épouses à nouveau. Ca m’est égal comment. Peut être au printemps…. Au fond de la forêt, ou dans une grotte…. Juste me dire « je te réépouse »…. S’il te plaît »
Elle disait que c’était important parce qu’elle l’avait retrouvé alors qu’elle pensait que tout était perdu. Elle disait qu’avant cela elle pensait vraiment ne plus l’aimer et qu’elle se disait que s’il la quittait ça lui serait égal. Mais on se voile la face parfois, et on finit par prendre pour réelle la vérité qui fait le moins mal. Croire qu’on n’aime plus est tellement plus simple que de souffrir parce qu’on se sent bafoué. C’est même plus simple que de se demander comment on a pu en arriver là, et si on n’est pas responsable également du désastre.
Lui n’avait jamais cessé de l’aimer, mais il n’avait pas vu non plus combien elle souffrait.
Toujours est il que tout cela était derrière eux à présent, et quand elle lui avait parlé de mariage son cœur avait fait « boum ».
Au sabbat de mai ils avaient pensé tous deux ritualiser dans les bois. Elle avait proposé le Château du Nideck, résidence bien connue d’un géant. Mais, arrivés sur place, c’étaient les Champs Elysées ! Jour férié plus soleil, et il y avait foule. Des familles entières qui criaient près de la cascade et s’égayaient partout alentour.
Il avait alors proposé d’entrer dans le donjon interdit au public, mais elle n’avait pas voulu. Elle disait que ça serait glauque, qu’elle voulait le ciel au dessus de sa tête.
Alors ils s’étaient enfoncés dans les bois jusqu’à ne plus entendre d’humains. Malgré le soleil il faisait froid et le sol, couvert de feuilles mortes, était détrempé. Ils avaient donc gardé leurs vêtements, ôté le sac à dos, installé l’autel à côté d’un ru. Peut être celui là même qui là bas, plus loin, devenait une cascade ?
Ils avaient souri en chemin en voyant trois jeunes armés d’un appareil photo et de deux chaises en bois, pour une quelconque mise en scène. Ils avaient dû suer dans la montée !
Et puis ils avaient ritualisé. Il se souvenait du grand silence, puis des oiseaux qui s’étaient mis à chanter pendant qu’elle marchait autour de l’autel en lisant le credo des sorcières. Il avait senti l’énergie qu’elle créait. Comme souvent elle avait attiré la Déesse, il avait vu les petites ailes qu’elle a dans le dos à ces moments là, il avait entendu une voix plus tard, quand était venu son tour d’intervenir. La voix disait « ja ‘so eschs’ guet » : « c’est bien comme ça ».
Il lui en avait parlé sur le retour, mais elle n’avait rien entendu.
Elle vivait rarement ces moments privilégiés faits de visions, de sensations. Mais elle disait que ce n’est pas grave, que ça viendrait, que peut être après tout elle n’était qu’une sorte d’antenne et que les antennes ne voient jamais la télé.
Etait ce la proximité des arbres ? Mais il avait senti comme une griffure sur son épaule pendant qu’elle prononçait la longue tirade des Eko Eko. Il avait même touché sa peau tellement c’était une douleur vive, mais elle était intacte. Et puis il avait senti le poids, et en tournant la tête il l’avait vu, l’oiseau de proie posé sur son épaule. Voilà les choses qui arrivaient depuis qu’elle ritualisait avec lui….
Bref ce fut un très bon rituel et ils étaient rentrés, un peu frigorifiés, mais ravis.
Ce n’est que dans les semaines qui suivirent qu’il repensa à tout cela et décida de mettre sur pieds un handfasting à cet endroit précis. Il lui en parlerait le plus tard possible. Il fallait d’abord contacter les autres, surtout celle qui officierait, trouver une date qui convienne à chacun, prévoir les anneaux, le texte, tous les détails.
Et voilà ! Tout était prêt. C’est pour aujourd’hui. Il lui en a dit juste assez pour que la surprise soit la plus grande possible. Elle évite de poser des questions. Elle se laisse porter. Une fois n’est pas coutume.
Cette fois ils montent au Nideck à l’aube, un jour de semaine, et le sol est sec. Le lieu semble si différent ainsi ! En définitive c’est une découverte pour chacun. Ils sont cinq : la prêtresse et son amoureux, la demoiselle, lui et elle…. Et un million d’insectes, d’oiseaux et d’hôtes habituels des bois ! Le ru est devenu un ruisseau et l’absence d’humains fait qu’on entend le bruit de la cascade.
L’autel est installé. Tout le monde se dévêt. On frissonne un peu dans l’air frais du petit matin. Les pommes sont épluchées et coupées en quartiers, les restes seront plus tard donnés en offrande. On verse la bière dans le calice. On lit l’émotion sur le visage de la prêtresse.
La demoiselle a porté le panier où sont rangées les couronnes de fleurs qu’elles ont fabriquées la veille. Les petits chrysanthèmes rouges et blancs se marient bien avec les cheveux noirs de la prêtresse.
La future mariée y a ajouté des rubans et des coquillages. Trois filles, trois façons de faire, trois couronnes différentes et pourtant si ressemblantes, cinq paires d’yeux brillants de joie et d’émotion, trois filles vêtues de ciel, de fleurs, d’un collier et d’une jarretière, et deux garçons profondément amoureux. Une faille dans le temps, un moment d’éternité.
Chacun prend sa place dans le cercle.
La prêtresse les appelle, lui et elle, elle leur demande leur nom, et ce qu’ils désirent. Lui semble fier, elle est très impressionnée. Elle se sent toute petite.
La prêtresse leur lie alors les mains. Cela fait partie des rares détails qu’il lui a révélés. « Il nous faudra une corde pour lier nos mains. C’est de là que vient le mot handfasting. »
Alors elle a acheté de la fibre naturelle, et y a patiemment inclus des cheveux, de leurs cheveux. Et voilà leurs mains liées ! Il suffirait d’un rien pour les séparer, mais en même temps ce lien a la solidité du plus dur des aciers.
Ils répètent phrase après phrase le serment que leur dicte la prêtresse. Puis celle-ci prend tour à tour la baguette, l’athamé, la coupe et le pentacle. Avec chacun d’eux elle invoque un pouvoir à ce mariage.
Quand elle repose le pentacle elle détache les mains des mariés et leur donne les bagues afin qu’ils les échangent. La mariée a l’impression de flotter, elle entend à peine le magnifique discours de la prêtresse qui parle avec justesse de tout ce que la vie de couple leur réserve, et qu’elle a pu amplement expérimenter ces vingt dernières années : l’adversité quelle qu’elle soit, contre laquelle il faut lutter ensemble, car « ensemble vous êtes un, séparément vous n’êtes rien » ; les moments difficiles où on a l’impression de n’avoir plus rien à offrir ; la colère qu’il faut changer en amour, les larmes en joie. « Ce n’est pas une faiblesse d’admettre une erreur, c’est au contraire une force et un signe de sagesse ».
La mariée ne peut détacher son regard des yeux de son aimé. Il lui sera dit plus tard que son regard était bouleversant.
Elle reprend pied dans la réalité quand il leur faut sauter par dessus le balai en se tenant par la main. Ils sont un peu maladroits et tous rient de bon cœur.
Puis la prêtresse balaye toutes les influences néfastes et tous s’asseyent sur la terre nourricière pour une « petite » fête qui ce jour là porte bien mal son nom.
Quand ils s’en vont le jour est levé, leur petit coin de forêt ne porte pas le moindre signe de leur passage, si ce n’est quelques morceaux de pommes qui descendent mollement le cours d’eau vers la cascade.
Ils sont heureux, ils se sentent forts, emplis d’une énergie magique que les « autres » les « moldus » ne peuvent pas comprendre. Ils se tiennent par la main, unis au delà de tout ce qu’on peut imaginer.
L’amour est une force, mais il est aussi fragile…. Qui oserait dire le contraire ? Il est comme l’eau de la cascade, il peut te briser, te noyer, te revigorer, ou simplement te glisser entre les doigts.