Par Joëlle de Gravelaine
Extrait de : La Déesse sauvage, les divinités féminines : mères et prostituées, magiciennes et initiatrices (éditions Dangles)
J’ai pour ma part vécu une expérience étonnante en compagnie de deux autres femmes. L’une, médecin, avait a peu près mon âge ; l’autre, romancière, était sensiblement plus jeune. Cela se passait à Denderah. Nous faisions un voyage amical sur un bateau qui descendait le Nil. A bord, se trouvait un égyptien avec lequel nous avons sympathisé toutes les trois, et qui nous servait de guide. J’avais perçu très vite qu’il connaissait plus de choses qu’il ne nous en livrait, qu’il avait accès à un savoir que j’avais bien envie de partager un peu avec lui. Un jour il nous fit un exposé – très bref – sur Isis, qui me mit en colère. Je lui dis sans ambages que sur ce chapitre il ne m’avait rien appris, que j’étais par ailleurs convaincue qu’il en savait plus que moi et que je me sentais tout à fait frustrée par son silence. Il rit alors, devant ma colère me disant : « Il n’y a pas que vous qui soyez amoureuse d’Isis ! Si vous le voulez, à Denderah, je vous montrerai quelque chose mais je ne veux que vous, avec vos deux amies ; personne d’autre. »
J’attendis avec l’impatience qu’on imagine, après avoir proposé à mes « complices » de filer avec moi le jour dit. A peine débarquées du car qui nous conduisait a Denderah, temple d’Isis-Hathor, notre guide nous entraina vers la crypte, après m’avoir montré les vestiges de l’ancien sanctuaire, avec ses pierres gigantesques, et le filet d’eau courant au fond. Il me dit très vite : » Ne regardez pas, mais il y a une femme en bas, avec son mari et sans doute son frère. Elle va s’accroupir là, car elle est stérile et elle attend de cette eau qu’elle la féconde. « Je jetai un œil en biais et l’aperçue, en effet, en bas dans le ravin, entre les pierres mégalithiques, encadrée par deux hommes.
Puis, abandonnant le reste du groupe, nous filâmes vers la crypte non éclairée. Il fallait descendre quelques marches d’un mauvais escalier de bois et se faufiler dans un goulet étroit. Il passa devant, balayant le sol de sa torche électrique. Il me prit alors par la main et m’entraina dans ce que je percevais comme un mur. Il m’incita à fermer les yeux, pour une meilleure concentration, et à attendre. Au bout de quatre a cinq secondes, je fus prodigieusement déconcertée par la soudaine sensation éprouvée : des contractions d’accouchement, violentes, profondes, rien à voir avec une quelconque sensation érotique ; comme des mains me pétrissant les entrailles. Je poussai un cri de surprise. Il attendit un moment, me reprit par la main et me fit faire demi-tour ; je me retrouvai devant le mur qui faisait exactement face au précédent.
A nouveau il m’invita a fermer les yeux. Et là, soudain, je vis – uniquement par le regard intérieur, bien sûr, puisque nous étions plongés dans la plus totale obscurité- les cornes d’Hathor avec son disque rouge, j’entrai dans ce disque où j’etais projetée en lui, et me sentis entrainée dans ce que j’appelai aussitôt une « danse d’électrons ». Impression forte, saisissante mais pas du tout angoissante. Je cédai alors la place a mon amie médecin, l’entendis pousser à son tour un « Oh! » aussi surpris que l’avait été mon « Ah ! » et en déduisis qu’elle venait de vivre la même sensation. En face, elle décrivit son expérience comme ayant été prise dans « un bombardement d’atomes ». La troisième, à la même et première place fit « Ah ! Oh ! » encore plus impressionnée que nous.Tellement impressionnée qu’elle refusa de s’immobiliser devant l’autre mur. Nous confrontâmes nos expériences : le résultat, de toute évidence correspondait à l’attente de notre guide.
Je demandais alors des explications. De quoi s’agissait-il ? Y avait-il quelque chose dans le sol, dans l’agencement des pierres ou des murs? Y avait-il des textes ? Notre homme leva alors sa torche et en balaya les murs sur lesquels apparaissaient des hiéroglyphes. Sur le mur de droite figurait un Horus finement ciselé. En face, un autre dieu faucon, identique au premier, mais lisse comme un galet travaillé par la mer. Et des hiéroglyphes également. » A droite, nous dit-il, c’est un texte sur la naissance physique, l’accouchement… C’est pourquoi seules les femmes peuvent vivre ici cette expérience. J’y ai amène de nombreuses amies ;toutes ont ressenti ce que vous avez décrit et celles qui ont eu des enfants identifient immédiatement la sensation éprouvée. En face, là où vous voyez cet Horus lisse, il y a un texte sur la mort et la naissance spirituelle. Cette image d’atomes ou d’électrons en mouvement est également décrite, le plus souvent en ces termes. »
Il nous entraina ensuite dans les grandes salles du Temple, là où on préparait les hiérodules, les prostituées sacrées, les prêtresses d’Hathor à rencontrer le Grand Prêtre. Et là, on peut l’avouer, les sensations étaient fort différentes, bien plus érotiques…
Notre disparition, bien que de peu de durée, avait provoqué quelques inquiétudes ; on nous chercha et certains hommes voulurent descendre à leur tour dans la crypte. Ils remontèrent furieux, vaguement conscient d’avoir été tenus à l’écart de quelque chose, d’avoir été exclus d’un mystère, frustrés et agacés. Et plus encore devant nos mines de conspiratrices réjouies. L’une des femmes présentes voulut explorer la crypte. Notre guide l’en dissuada, la mettant en garde : « N’allez pas trop loin à droite ! » Elle s’empressa de désobéir… pour remonter quelques instant plus tard, un peu pâle, racontant qu’elle s’était retrouvée à l’angle de deux « boyaux », les mains projetées en arrière dans la position de salutation qu’on peut voir sur les fresques égyptiennes, et presque renversée sur le dos, sans comprendre ce qui lui arrivait…
Ainsi, des siècles et des siècles après son édification, le temple de Denderah abrite encore des secrets, possède encore des pouvoirs. J’ai la conviction aujourd’hui que l’Égypte tout entière recèle encore des Mystères et que ces Mystères sont de même nature que ceux auxquels accédaient les inities. Je me suis jurée de revenir un jour a Denderah… pour essayer de percer quelques secrets de plus. Car ce Temple vit. Chaque pierre, chaque texte, vit de sa vie propre, charges d’une énergie dont la nature est indéfinissable mais tangible, pour qui veut l’éprouver et trouver en soi l’indispensable disponibilité.